Noura rêve, l’une des oeuvres les plus importantes de la filmographie de Hind Sabri.
De plus en plus de films maghrébins n’hésitent pas à s’attaquer franchement à certains problèmes régnant dans les sociétés nord-africaines ou à certaines lois, dont l’impact est de plus en plus controversé parmi les citoyens. Le nouveau film tunisien, Noura Tahlam (Noura rêve), écrit et réalisé par Hinde Boujemaa, est de ces films-là.
Remarquée en 2012 avec le documentaire C’était mieux demain, la réalisatrice tunisienne signe, avec Noura rêve, son premier long métrage, bien accueilli dans des festivals internationaux, dont le 44e Festival de Toronto, le 67e Festival de San Sebastian et, actuellement, le Festival de Gouna. Mettant le doigt sur un sujet préoccupant et riche tant sur le plan dramatique que social, le film relate l’histoire complexe d’un couple que le code pénal mène à plusieurs tournants. Car en Tunisie, l’article 236 du code pénal punit l’adultère d’un emprisonnement de 5 ans et d’une amende de 500 dinars, mais seul le conjoint peut déclencher la procédure, et c’est à lui seul de l’arrêter.
Le film traite de ce sujet à travers l’histoire de Noura — jouée par l’actrice Hind Sabri — une employée dans la laverie d’un hôpital et mère de 3 enfants qu’elle élève seule. Et ce, depuis que son mari violent, Jamel — interprété par Lofti Abdelli — s’est retrouvé en prison pour adultère, ce qui lui coûte 5 ans de sa vie. Toutefois, sentant la liberté pour la première fois, Noura se retrouve éprise de Lassad — Hakim Boumassoudi. Leur relation, quoique sentimentale, pourrait les mener à 5 ans de prison eux aussi, en cas de découverte.
Alors que Noura attend impatiemment la conclusion imminente d’une procédure de divorce qu’elle a initiée en secret contre Jamel, ce dernier bénéficie soudainement d’une grâce présidentielle, quatre ou cinq jours seulement avant que le divorce ne soit finalement prononcé. Un coup de théâtre, totalement choquant pour sa femme, qui perd ainsi la liberté qui était presque au bout de ses doigts. Elle se trouve donc coincée entre les deux hommes dominant sa vie, le mari violent qu’elle ne veut plus et l’amoureux avec qui elle rêve débuter une nouvelle vie.
Une trame qui n’hésite pas à discuter également du patriarcat dans la société tunisienne, tout en prenant l’histoire de ce couple comme occasion de dresser le portrait de presque toute une société, où l’homme est depuis toujours dominant et où les femmes ne cessent de chercher la liberté.
Amour et contraintes sociales
Ces thèmes ne sont pas nouveaux pour la réalisatrice Hinde Boujemaa, qui a déjà raconté dans son documentaire C’était mieux demain, en 2012, les difficultés d’une mère célibataire en marge de la société, au lendemain du Printemps arabe tunisien. Elle a également discuté des différents images et défis de l’amour dans son court métrage Roméo a épousé Juliette, en 2014.
Disséquant habilement certains aspects de l’injustice dominant les relations entre hommes et femmes dans son pays, à l’instar de beaucoup d’autres sociétés arabes, Hinde Boujemaa réussit à peindre un drame conjugal bien ficelé, référant indirectement à un drame social plus vaste. Un tableau bien coloré malgré son contenu sombre, où les thèmes de mariage, d’amour, d’adultère, de système juridique, de liberté et de vengeance offrent suspense et un côté philosophique à la narration.
L’histoire en elle-même semble être parfois classique mais vraie, et les événements font passer le spectateur par un éventail d’émotions allant de l’amour à la tristesse, en passant par la colère et la joie, pour ensuite recommencer. La justesse du jeu des acteurs et l’intensité dramatique de leurs prestations donnent au film sa spécialité. Hind Sabri campe avec conviction Noura et incarne à merveille cette femme modeste, désespérée, mais prête à tout pour retrouver sa liberté et son équilibre sentimental et personnel, alors que tous les autres personnages sont également très bien joués.
Par sa belle technique pourtant classique, son récit aigu et sa critique courageuse de thèmes sociaux et de certains aspects juridiques en Tunisie, le film Noura rêve mérite bien sa place parmi les films tunisiens importants de la filmographie de Hind Sabri et de toute l’équipe de travail. Une fiction touchante, profonde et dure, mais qui nous captive.
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