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Une femme en quête de liberté

Yasser Moheb, Mardi, 24 septembre 2019

Parmi les coups de coeur présentés lors de la 3e édition du Festival du film d'Al-Gouna figure le film tunisien Noura Tahlam (Noura rêve) de Hinde Boujemaa. Il fait partie du nombre croissant de films maghrébins qui traitent ouvertement de certains problèmes de société.

Une femme en quête de liberté
Noura rêve, l’une des oeuvres les plus importantes de la filmographie de Hind Sabri.

De plus en plus de films maghrébins n’hésitent pas à s’attaquer franche­ment à certains pro­blèmes régnant dans les sociétés nord-africaines ou à certaines lois, dont l’impact est de plus en plus controversé parmi les citoyens. Le nouveau film tunisien, Noura Tahlam (Noura rêve), écrit et réalisé par Hinde Boujemaa, est de ces films-là.

Remarquée en 2012 avec le docu­mentaire C’était mieux demain, la réalisatrice tunisienne signe, avec Noura rêve, son premier long métrage, bien accueilli dans des festivals internationaux, dont le 44e Festival de Toronto, le 67e Festival de San Sebastian et, actuellement, le Festival de Gouna. Mettant le doigt sur un sujet préoccupant et riche tant sur le plan dramatique que social, le film relate l’histoire complexe d’un couple que le code pénal mène à plusieurs tournants. Car en Tunisie, l’article 236 du code pénal punit l’adultère d’un emprisonnement de 5 ans et d’une amende de 500 dinars, mais seul le conjoint peut déclencher la procé­dure, et c’est à lui seul de l’arrêter.

Le film traite de ce sujet à travers l’histoire de Noura — jouée par l’actrice Hind Sabri — une employée dans la laverie d’un hôpi­tal et mère de 3 enfants qu’elle élève seule. Et ce, depuis que son mari violent, Jamel — interprété par Lofti Abdelli — s’est retrouvé en prison pour adultère, ce qui lui coûte 5 ans de sa vie. Toutefois, sentant la liberté pour la première fois, Noura se retrouve éprise de Lassad — Hakim Boumassoudi. Leur relation, quoique sentimen­tale, pourrait les mener à 5 ans de prison eux aussi, en cas de décou­verte.

Alors que Noura attend impa­tiemment la conclusion imminente d’une procédure de divorce qu’elle a initiée en secret contre Jamel, ce dernier bénéficie soudainement d’une grâce présidentielle, quatre ou cinq jours seulement avant que le divorce ne soit finalement pro­noncé. Un coup de théâtre, totale­ment choquant pour sa femme, qui perd ainsi la liberté qui était presque au bout de ses doigts. Elle se trouve donc coincée entre les deux hommes dominant sa vie, le mari violent qu’elle ne veut plus et l’amoureux avec qui elle rêve débuter une nou­velle vie.

Une trame qui n’hésite pas à dis­cuter également du patriarcat dans la société tunisienne, tout en pre­nant l’histoire de ce couple comme occasion de dresser le portrait de presque toute une société, où l’homme est depuis toujours domi­nant et où les femmes ne cessent de chercher la liberté.

Amour et contraintes sociales

Ces thèmes ne sont pas nouveaux pour la réalisatrice Hinde Boujemaa, qui a déjà raconté dans son docu­mentaire C’était mieux demain, en 2012, les difficultés d’une mère céli­bataire en marge de la société, au lendemain du Printemps arabe tuni­sien. Elle a également discuté des différents images et défis de l’amour dans son court métrage Roméo a épousé Juliette, en 2014.

Disséquant habilement certains aspects de l’injustice dominant les relations entre hommes et femmes dans son pays, à l’instar de beau­coup d’autres sociétés arabes, Hinde Boujemaa réussit à peindre un drame conjugal bien ficelé, référant indirectement à un drame social plus vaste. Un tableau bien coloré malgré son contenu sombre, où les thèmes de mariage, d’amour, d’adultère, de système juridique, de liberté et de vengeance offrent sus­pense et un côté philosophique à la narration.

L’histoire en elle-même semble être parfois classique mais vraie, et les événements font passer le specta­teur par un éventail d’émotions allant de l’amour à la tristesse, en passant par la colère et la joie, pour ensuite recommencer. La justesse du jeu des acteurs et l’intensité drama­tique de leurs prestations donnent au film sa spécialité. Hind Sabri campe avec conviction Noura et incarne à merveille cette femme modeste, désespérée, mais prête à tout pour retrouver sa liberté et son équilibre sentimental et personnel, alors que tous les autres personnages sont éga­lement très bien joués.

Par sa belle technique pourtant classique, son récit aigu et sa critique courageuse de thèmes sociaux et de certains aspects juridiques en Tunisie, le film Noura rêve mérite bien sa place parmi les films tunisiens impor­tants de la filmographie de Hind Sabri et de toute l’équipe de travail. Une fiction touchante, profonde et dure, mais qui nous captive.

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