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Se reconnaître dans un miroir

Dina Kabil, Mardi, 17 septembre 2019

En marge du Festival international du théâtre contemporain et expérimental, la pièce d'Ahmed El-Attar Mama se donne avec succès au théâtre Al-Falaki. Le metteur en scène mélange les langages de soap-opéra et du théâtre contemporain.

Se reconnaître dans un miroir
Menha el Batraoui, une maman qui préserve le patriarcat. (Photo : Bassam Al-Zoghby)

Après sa présentation au Festival d’Avignon 2018, ainsi que dans plusieurs théâtres français, la pièce Mama est enfin donnée au Caire devant son propre public. Car celle-ci met à nu la bourgeoisie avec un grand B, celle de tout temps, en l’occurrence égyptienne. « Je place la société égyptienne face à un miroir », dit l’auteur et metteur en scène de la pièce, Ahmed El-Attar.

La première moitié du spectacle se déroule dans une ambiance de soap-opéra. Le décor est celui d’un salon chic, typique aux grandes familles cairotes. Le rythme et les dialogues sont similaires à ceux que l’on trouve dans les feuilletons de télévision, un fameux passe-temps frivole, très codé.

Mama (incarnée par Menha el Batraoui) est installée, ou plutôt figée, sur son fauteuil pendant presque la totalité de la pièce. Tout tourne autour de sa personne, comme de coutume dans cette classe conser­vatrice, toujours sur la défensive, prête à protéger ses intérêts. Elle tient excessivement aux apparences et nourrit surtout l’ordre établi du patriarcat en Egypte.

Ici, la mère et sa belle-fille donnent toujours raison au petit-fils, tandis que la petite-fille, l’adolescente, qui a besoin d’être écoutée, est toujours marginalisée et opprimée. Cette der­nière finit par mettre le voile et suivre des leçons, pourvues par les nou­veaux prédicateurs à la mode. La maman prend toujours position en faveur de son fils, Ramsi Leinar. Elle prend aveuglément partie, même lorsqu’on découvre que la petite-fille est en train de flirter avec le chauffeur de la famille. Le fils s’est montré complètement impuissant et a appelé son père pour le secourir, n’étant pas à même de régler le problème tout seul.

La Mama ne cesse de répéter les stéréotypes du genre : « le père de la famille travaille beaucoup et souffre », « Il n’a pas le temps de s’occuper des enfants ». Elle jette ainsi toute la responsabilité sur sa belle-fille. Attar montre, tout au long de la pièce, comment sont éduquées les nouvelles générations, à travers les faits simples du quotidien d’une famille comme les autres. Un macho n’a-t-il pas besoin d’une mère et d’une femme pour nourrir et exercer son masochisme sur toutes les autres ?

Son recours à une mise en scène du style soap-opéra ne provient pas, bien entendu, d’un goût pour le classique. Car il s’agit d’un homme de théâtre très enraciné dans le contemporain. C’est lui qui s’est très tôt intéressé aux spectacles expérimentaux et qui a fondé le festival Down Town Contemporary Arts Festival (D-CAF), il y a quelques années.

Il a sans doute choisi le style le plus apte à incarner le discours domes­tique, la frivolité, la monotonie, voire la stagnation. Pourtant, il est facile de ressentir une longueur dans cette par­tie qui nuit au rythme contemporain en général.

Quant à la seconde moitié du spec­tacle, elle suit un autre point de vue encore plus moderne. Là, tous les acteurs sont sur scène, assis de part et d’autre. La Mama est assise éternelle­ment sur son fauteuil, tandis que les événements se suivent et se déroulent à ses côtés ou sur le canapé. On dirait que les acteurs sont désormais isolés, y compris la Mama ; ils deviennent à leur tour des spectateurs, se regardant dans le miroir, tandis que l’action est concentrée sur la scène qui se déroule devant nous.

Faut-il en rire ?

Pendant tout le spectacle, un mon­sieur parmi les rangs du public, quelque part au milieu de la salle, ne cesse de rire aux éclats. Pourtant, il ne s’agit pas souvent d’une intrigue comique. Rien n’est amusant dans cet autoritarisme maternel, dans cette enfance et adolescence opprimées.

Normalement, on n’est pas censé rire de cette image hypocrite que pré­sente le spectacle, en évoquant la nouvelle religiosité de cette classe bourgeoise. Toutefois, on rit, pas autant que le monsieur dans la salle, mais on rit. Du moins, on peut com­prendre les raisons de ses rires. La tenue de la Mama avec son turban, son collier, sa broche et ses habits scintillants rappelle sans doute des milliers de mamans pareilles. On rit parce qu’on se reconnaît dans le miroir des personnages sur scène. De plus, le rôle de la Mama rappelle ceux de l’icône de la comédie égyptienne Marie Mounib.

Le monsieur « rieur » n’est autre que le dramaturge et professeur de théâtre Mahmoud Al-Louzi. On peut déduire qu’il connaît parfaitement Menha el Batraoui, et reste bouche bée en se rendant compte combien elle a changé de peau. Il la compare probablement à ses anciens rôles plus ou moins sérieux, dans Zahret Al-Sabbar de Hala Al-Qoussi, les films de Youssef Chahine ou ceux de Yousri Nassrallah. Ce va-et-vient entre les différents rôles d’el Batraoui confirme la naissance d’une comé­dienne, à la verve facile, dotée d’un humour très subtil.

Mama du 20 au 23 septembre à 20h, au théâtre Al-Falaki, rue Falaki, centre-ville cairote.

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