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Entre deux fleuves

Somaya Azzam, Dimanche, 25 août 2019

Le documentaire Baytou Al-Nahrayne (la maison des deux fleuves), de la Syrienne Maya Mounir, montre la détresse des minorités victimes de conflits armés à travers l’histoire d’une famille sabéenne-mandéenne, partie d’Iraq pour s’installer en Syrie. Elle y sera de nouveau rattrapée par la guerre.

Entre deux fleuves
Le cheikh-sculpteur.

Certains documentaires et vidéos mettent en relief les croyances de groupes eth­niques minoritaires et évoquent des confessions méconnues du grand public. C’est le cas du film iraqien de 76 minutes Baytou Al-Nahrayne (la maison des deux fleuves), réalisé par la Syrienne Maya Mounir. Nous y suivons le parcours de la famille iraqienne de Salam Al-Zoheiry ainsi que l’effet du conflit et de l’instabilité du pays sur ses membres, qui appartiennent à la confession sabéenne-mandéenne, dont le foyer se trouve historiquement en Iraq. Comme beaucoup de minorités religieuses, ils ont subi le terrorisme, la guerre d’épuration religieuse et la déportation forcée.

Dans le film, ils sont présentés en tant que témoins et font part du drame de leur peuple, de manière intense et très émotive. Ils livrent des histoires, vraies, subjectives, mais qui en disent long sur leur souffrance et leurs conflits internes. Salam Al-Zoheiry, le père de famille, est sculp­teur et sa femme est professeure d’arts plas­tiques. Ils ont été obligés à quitter l’Iraq en 2004 pour se rendre à Damas avec leurs enfants Nour et Anouar. Ils ont vécu dans le quartier mixte de Germana, où vivent les membres de plusieurs communautés, dont des Druzes, des chrétiens et des Alaouites. Et avaient l’espoir de revenir vite retrouver les leurs. Mais ils ont fini par s’instal­ler dans le provisoire.

Avec le temps, ils sont gagnés par la convic­tion que le retour au pays tient de l’impossible. La mère le dit bien dans le film, expliquant que sa grande famille est dispersée sur trois conti­nents et qu’il est très difficile de reprendre le cours de son existence normalement: « Rien ne laisse entendre qu’il y aura un rapatriement familial. C’est bien d’être chez soi, entourée des siens, c’est la patrie ».

La guerre a éclaté ensuite en Syrie. De nou­veau, les minorités sont montrées du doigt. L’artiste Salam Al-Zoheiry est touché par l’in­fluence des courants religieux, il devient cheikh au sein de sa confession. La question de la liberté de croire, de s’exprimer sans peur, est soulevée par le film, à divers niveaux. La guerre bat son plein, mais à l’intérieur de tout un cha­cun, il y a aussi un conflit, qui n’est pas moins foudroyant. Les gens sont à la croisée de plu­sieurs chemins: faut-il trouver un com­promis? Ou camper sur ses positions?

Dialogue des générations

Les dialogues entre la fille Nour (15 ans) et son père Salam Al-Zoheiry se déroulent intelligemment sur la possibi­lité d’être un homme de religion sabéen et un artiste-sculpteur à la fois. Le plasti­cien syrien Fadi Al-Yazji intervient, pour sa part, pour prendre part au débat, en montrant sa sculpture Le Cri, laquelle résume sa douleur. « L’art c’est comme la zakat ou l’aumône légale. On offre au monde sa manière de voir, ses pensées, pour que les autres hommes puissent progresser. Nous avons besoin de couper le cordon ombili­cal et de nous livrer à l’aventure, pour imposer nos opinions et mieux résister », dit Al-Yazji.

Al-Zoheiry, jugeant qu’il n’y a aucune contradiction entre la religion et l’art, continue à travailler en cachette, car la société conserva­trice où il vit rejette l’art. Sa fille argumente : « C’est nous qui créons le problème. L’art est quelque chose de raffiné et la religion, c’est essentiellement des valeurs éthiques et des bonnes manières. C’est à toi de présenter ton oeuvre aux gens, et puis c’est à prendre ou à laisser ». La réalisatrice met bien en relief les opinions des diverses générations et la diffé­rence entre elles.

Anouar, le fils, est, quant à lui, absorbé par les jeux électroniques de combat. Il discute souvent de la guerre et de sa raison d’être avec son père. Pour lui, elle fait partie de la logique de la vie et remédie au problème de la surpopulation et de l’explosion démographique. Cependant, Salam Al-Zoheiry trouve que la guerre relève de l’ab­surde et que la paix est une chose sacrée. Il dit regretter cette migration forcée, la plus dure dans l’histoire des Sabéens-mandéens. Ainsi, la conversation entre le père, sa fille et son fils débouche sur le sens de la patrie, du sentiment d’appartenance, des frontières et des cartes géo­graphiques.

La réalisatrice présente certains rites sabéens : le pain traditionnel, les ablutions, la prière, la manière de dresser la table. Elle filme les mariages traditionnels de cette confession, leurs obsèques, etc. Ainsi, elle expose deux fils de narration, l’un concernant la confession et ses rituels et l’autre évo­quant tout ce qui est humain et commun à toutes les victimes des conflits armés.

Baytou Al-Nahrayne ou Beith, en ara­méen, signifie la terre. Et les deux fleuves ici désignent le Tigre et l’Eu­phrate. Le film s’ouvre sur des formes plastiques en argile, avec des extraits du livre sacré des Sabéens, et conclut par une sculpture de Salam Al-Zoheiry, représentant une femme sur un bateau, qui se déplace en paix.

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