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Les couleurs de l’Afrique

May Sélim, Mardi, 30 juillet 2019

La 13e édition de la Biennale internationale du Caire fait la part belle à l’Afrique. Onze artistes africains y révèlent leur identité et leur diversité culturelles ou évoquent les difficultés du continent, touché par les séquelles du colonialisme et le terrorisme.

Les couleurs de l’Afrique
Game Boys, du Camerounais Ajarb Bernard Ategwa.

Après 8 ans d’arrêt, la Biennale internationale du Caire reprend ses activités. Cette 13e édition, qui se tient jusqu’au 10 août au Centre des arts du Palais de Aïcha Fahmi, au Palais des arts et au Musée d’art moderne, a choisi pour thème Eyes East Bound (des yeux rivés vers l’Orient), s’éloignant de l’image exotique ou orientaliste collée à cette région du monde. « C’est une tentative de réduire les exagérations et les appréhensions s’agissant de l’Autre. On a plutôt essayé de respecter la diversité des idées exprimées au cours des 50 ans passés sur l’identité de l’Orient et celle de l’Occident, écartant les idéologies conflictuelles », souligne Ihab Al-Labban, commissaire de la biennale.

Les couleurs de l’Afrique
Photos du Nigérien Emeka Okereke. (Photo : Bassam Al-Zoghby)

L’Egypte accueille ainsi toutes les nouvelles tendances et les diverses disciplines artistiques à travers cette 13e édition. Le pays, étant à la tête de l’Union africaine cette année, célèbre surtout l’Afrique dans toute sa diversité. Les oeuvres de onze artistes africains, venus du Sénégal, de Côte d’Ivoire, d’Ouganda, du Zimbabwe, de Mauritanie, d’Afrique du Sud, du Nigeria, du Congo et du Burkina Faso, occupent les salles de la biennale et révèlent une richesse culturelle et visuelle indéniable.

Les couleurs chaudes du continent noir ne peuvent pas laisser indifférent. Le jeune artiste camerounais Ajarb Bernard Ategwa, par exemple, reproduit les scènes de la ville portuaire de Douala. Il a recours à des couleurs criardes en acrylique et à des compositions riches en détails. Ses lignes et contours dévoilent une spontanéité célébrant la vie. L’artiste dépeint le jeu des garçons dans la ville côtière dans Game Boys ou encore le chaos des marchés urbains dans Change. Les peintures en acrylique du Congolais Ngimbel Luve reflètent, elles, la vie de tous les jours, de manière plus sombre et abstraite, à l’aide de couleurs très limitées. Les proportions des corps sont souvent exagérées, évoquant les moindres détails sur des toiles de fond noires. D’où un joli contraste.

Les couleurs de l’Afrique
Peinture du Sénégalais Ibrahima Dieye. (Photo : Bassam Al-Zoghby)

Les tapisseries de l’Ougandais Sanaa Gateja puisent dans les motifs folkloriques africains. Elles montrent un arbre en fleur, un masque africain, une pièce de calebasses, etc. Gateja représente, selon ses termes, « tout ce qui est proprement africain ». Dans ses oeuvres riches en couleurs, il travaille notamment avec des écorces, du papier, des perles, du bois et de la fibre de banane pour concevoir de grandes oeuvres expérimentales et originales.

Le Burkinabé Hyacinthe Ouattara développe une expression artistique ancrée dans les formes traditionnelles de l’Afrique, voire primitiviste. Ses peintures et sculptures sont chargées de têtes, de masques, de symboles et de couleurs, empruntés à l’histoire des ancêtres. Pour Hyacinthe Ouattara, peindre, c’est « redonner un sens au passé », comme il l’exprime bien dans la presse. Ainsi, il expérimente, dans ses dernières peintures, avec des objets, tels des sacs de jute ou des ficelles, dans l’optique de faire passer un message, lié au retour au passé.

Les maux de l’humanité

La guerre, le colonialisme, l’indépendance, le terrorisme, la misère, les frontières ont marqué l’histoire du continent noir. Pour certains artistes, l’Afrique souffre de leurs séquelles jusqu’à présent. Cela est bien clair dans les oeuvres exposées. L’artiste sénégalais Ibrahima Dieye dénonce, à titre d’exemple, l’atrocité du monde. Il y présente son Afrique, pleine de victimes et de martyrs, à cause du terrorisme et de la guerre. Et ce, à travers une grande installation, composée de masques noirs et représentant des têtes humaines, avec des pistolets en arrière-plan. Dans sa série de peintures, les personnages n’ont presque plus rien d’humain. Ils sont comme des monstres, avec des têtes d’animaux abominables.

Les couleurs de l’Afrique
Sculpture du Burkinabé Hyacinthe Ouattara. (Photo : Bassam Al-Zoghby)

Deux autres installations décrivent la mort, les carences sécuritaires et la misère, comme celle en métal du Mauritanien Oumar Oball, Bird (oiseau), ou celle du Zimbabwéen Admire Kamudzengerere, I m Going to … You, Till You Run. Oiseau est une oeuvre montrant les plumes d’oiseaux et les restes de ceux qui n’ont pas pu voler ou quitter la terre de conflit. L’installation de Kamudzengerere, quant à elle, fait allusion à l’absence de sécurité et au règne de la peur. Elle est composée d’une série de portraits, en noir, taillés sur des bouts de papier blanc. L’ensemble constitue une carte géographique. Les têtes des hommes se suivent et se ressemblent.

La vidéo La Bureaucratie des anges, réalisée par les deux artistes d’Afrique du Sud Adam Broomberg et Oliver Chanarin, aborde la migration clandestine d’Afrique vers l’Italie. Les artistes ont filmé une mission de sauvetage et le retour des migrants clandestins dans leurs terres d’origine ainsi que la destruction de leurs bateaux par les autorités au port Pozallo en Sicile.

Les effets du colonialisme sur le continent noir sont mis en exergue par l’artiste ivoirien Ernest Duku. Sa trilogie de dessins sur papier froissé s’intitule L’Elite coloniale et s’interroge sur les séquelles du colonialisme en Afrique à l’aide de portraits divisés et partagés en mille morceaux. Le colonialisme a changé les frontières, a divisé l’Afrique, mais a aussi nourri le sentiment de tiraillement et de ségrégation. C’est pourquoi le Nigérien Emeka Okereke est soucieux de refléter, par sa photographie, le dilemme des frontières sur les plans géographique, humain et idéologique. Sur l’une des photos, une femme se trouve derrière une porte fermée, une autre est ligotée sur une chaise de rue, alors qu’un marchand ne lui accorde aucun intérêt. Okereke, avec ses photos, affirme toujours la présence de deux mondes opposés ou de deux situations paradoxales. Le conflit qui en résulte est révélateur de la culture des frontières, de l’inacceptation et de l’indifférence envers autrui.

Les couleurs de l’Afrique
Photo de la Sénégalaise Maimouna Guerresi. (Photo : Bassam Al-Zoghby)

Si elle expose ses oeuvres en tant qu’Italienne, Maimouna Guerresi est en réalité d’origine sénégalaise. Ses photos en disent long. Née en Italie, l’artiste traite de la spiritualité et du soufisme dans la culture africaine et européenne. Elle a recours à des modèles africaines voilés et les place dans un contexte abstrait et neutre — un arrière-fond blanc — pour mettre l’accent sur leur quête constante de spiritualité. Les racines des arbres, leurs troncs empruntés à la verdure de la ville italienne, notamment la Vénétie, qui accueille souvent les migrants marocains et sénégalais, révèlent une autre interprétation de la sobriété et du soufisme.

La spiritualité, l’essence même de la religion, est aussi développée par le photographe sénégalais Malick Welli. Il expose une série de photos sous le titre La Série du phénomène spirituel. Welli prend des photos de mosquées, de mausolées, de cimetières. Il résume le voyage initiatique de l’âme humaine, en quête de spiritualité. Pour lui, peu importe la religion et ses rites, l’essentiel, c’est le voyage mystique de tout un chacun, depuis la naissance jusqu’à la mort.

Jusqu’au 10 août, au Centre des arts, au Palais de Aïcha Fahmi à Zamalek, tous les jours de 10h à 21h (sauf le vendredi), au Palais des arts, terrain de l’Opéra, Guézira, tous les jours de 10h à 12h et de 17h à 21h (sauf le vendredi) et au Musée d’art moderne, terrain de l’Opéra, Guézira, tous les jours de 10h à 14h et de 17h à 21h (sauf le vendredi).

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