Danse et graffitis
Les danseurs font vibrer la scène. (Photo : Moustafa Abdel-Ati)
Le spectacle Back to Zero (retour à zéro) associe la danse aux graffitis. Il a été donné dans le cadre de la section Vision urbaine du festival, réservée aux performances des rues. C’est le seul spectacle du D-caf qui ait échappé plus au moins aux mesures sécuritaires, suite auxquelles les autres spectacles de danse et de mapping vidéo, prévus durant la journée Vision urbaine à la rue Al-Chérifeine, ont fini par avoir lieu au nouveau Centre culturel de Tahrir (TCC), l’ancien campus de l’Université américaine. Signé par Kadir Amigo Memis, choréographe turc résidant en Allemagne, Back to Zero a été présenté à l’institut Goethe, rue Al-Bostan, dans la cour du centre culturel. Une cour intérieure entourée de différents immeubles et bâtiments. Ainsi, les habitants vivant dans les environs ont pu suivre le déroulement du spectacle depuis leurs fenêtres.
A 16h, un joueur de trompette fait appel à son collègue. Il a l’air d’un extraterrestre. Son mouvement est bien calculé, un peu machinal. Le danseur avance parmi les rangs des spectateurs et s’arrête devant un tableau blanc. Quelques secondes de réflexion, puis sur une musique remuante, il commence à peindre des lignes et des lettres indéchiffrables. Les éclats de rire des voisins dans leurs balcons arrivent jusqu’à la cour. Ils se calment petit à petit et suivent attentivement la danse en cours. Ils prennent même quelques photos à l’aide de leurs téléphones portables.
Au rythme des percussions, l’arrière-fond se remplit de couleurs. Deux danseurs font apparition sur scène. Leurs mouvements sont inspirés de la danse folklorique turque du Zeybek et de la Break-Dance. Memis a combiné deux formes de danse et deux cultures. « Je me considère comme un nomade urbain. Un collectionneur. Je m’inspire des mouvements des oiseaux, des odeurs, des couleurs, des sons et des lumières des villes », explique le chorégraphe.
Suivant le tempo de la musique, les danseurs découvrent les potentiels de leurs corps. Ils traduisent des scènes de conflit et de libération. Le rythme de la musique devient plus fort et le graffitiste dépose ses outils et se joint aux danseurs. Ils peuvent recommencer à zéro.
L'art et l'argent
Fouad danse et implique le public dans son jeu. (Photo : Bassam Al Zoghby )
Un homme jaillit de l’obscurité. Il dessine à la craie et par le contact de son corps avec la terre des cercles dans lesquels il tourne. Est-ce des cercles où il se sent emprisonné, limitant ses potentiels ? Le danseur bouge tout son corps, se dresse sur la tête pour ensuite sortir du cercle dessiné sur le sol. Mohamad Fouad, chorégraphe, danseur et metteur en scène égyptien, présente ainsi Without Damage (sans dégât), rythmé par une série d’interruptions. Il invite le public à prendre part au spectacle et propose des scènes en échange d’argent. Un contexte un peu spécial, parsemé d’humour, mais très interactif.
Fouad précise que son spectacle, donné jeudi dernier à l’institut Goethe, n’aborde ni les faits politiques, ni les problèmes économiques. Les mouvements sont repris d’autres spectacles qu’il a déjà créés. « Dans la danse contemporaine, il n’y a rien de nouveau », dit-il, non sans humour. Le chorégraphe rejette les préjugés concernant la danse contemporaine. Il opère une vraie remise en question quant au sens de l’art au sein d’une société marchande. Fouad incite ainsi le public à réagir, à découvrir la scène d’après, en payant même de l’argent pour la suivre. Il fait diverses propositions : une scène exclusive pour un seul spectateur en échange de 20 L.E., une répétition élaborée de la chorégraphie contre 50 L.E., une scène de danse pour trois spectateurs, à suivre sur une chaise longue, contre 50 L.E., etc. Par curiosité, le public se prend au jeu et prend plaisir à se lancer dans l’aventure qui déclenche parfois le rire. Dans son spectacle, Fouad ridiculise le tout, s’interroge sur les limites de l’art et de son propre corps. Une expérience chorégraphique hors des sentiers battus.
Chanter l’amertume de l’univers
La dame-lune et monsieur-ombre chantent sur scène. (Photo : Bassam Al Zoghby
«What happened here has happened there, what happened happens anywhere » (ce qui s’est passé ici s’est passé ailleurs, ce qui s’est passé se passe un peu partout). Cette phrase-clé introduit le spectacle danois Dust (poussière), donné la semaine dernière sur les planches du théâtre Al-Falaki. Mélange d’opéra et de théâtre de marionnettes, il dessine un avenir sombre de la Terre, suite aux changements climatiques.
Basé sur un texte et une mise en scène de Jesper Pederson, Dust est repris depuis 2016 par la troupe Sew Flunk Fury Wit. La phrase de départ est significative. Elle cherche à nous réconforter, malgré l’ambiance sinistre qui règne sur scène. Et ce, en disant qu’il s’agit d’un événement banal qui se répète un peu partout tous les jours. Sur les planches se dévoile progressivement l’amertume de l’être humain, à l’ombre d’un avenir de plus en plus incertain. Car le spectacle retrace l’histoire de la Terre et de l’Homme qui détruit l’environnement.
Une catastrophe climatique se produit provoquant la mort de toutes les créatures vivantes. Seuls restent sur scène deux êtres humains : une femme et un homme. La femme symbolise la lune et l’homme l’ombre. Les deux sont liés par une grande complicité, un pacte mystérieux. Ils se complètent et nous racontent, par le jeu, le chant d’opéra, et aussi par les marionnettes, ce qui s’est passé. Ils incarnent, à tour de rôle, différents personnages : un enfant, une mère, un prêtre, un soldat, une femme violée, un commerçant et d’autres. Les marionnettes sont manipulées par monsieur-ombre. En chantant, la mère supplie son enfant de revenir vers elle. Puis on échange les rôles. Le prêtre devient par exemple un prêcheur que personne n’écoute. Les marionnettes sont confectionnées à partir de tissus rapiécés. Ils ressemblent à des êtres mutilés.
Ces marionnettes se cachent parmi des tas de poussière ou plutôt des cendres. La présence d’un cercueil sur scène introduit bien les scènes suivantes. La musique de Peter Kohlmetz Moller et les paroles de Neill Cardinal Furio tiennent un important rôle dramatique. Elles aident à raconter les histoires, font avancer les scènes et nous transmettent la grande amertume ressentie par les humains. L’éclairage est fait d’un jeu d’assombrissement et d’éclaircissement bien élaboré. Le réveil de certaines marionnettes s’accompagne d’un éclairage faible, qui se renforce ensuite avec l’entrée sur scène de la dame-lune. Celle-ci se réfugie dans son asile, muni d’un long escalier. Une ambiance cauchemardesque y règne. Les marionnettes regagnent leurs places sous les cendres, et les deux protagonistes restant sur terre écoutent à la radio le message suivant : « Il n’y a pas d’issue. Calmez-vous et respirez, c’est votre dernier souffle ». L’image semble très pessimiste. La pièce constitue un cri contre les atrocités commises par l’être humain sur terre.
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