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Fragments du monde arabe sur écran

Yasser Moheb, Mardi, 09 avril 2019

Pour sa troisième édition qui se tient du 10 au 16 avril, les Journées cinématographiques du Caire accueillent des talents de l’ensemble du monde arabe. Coup de projecteur sur un événement qui commence à s’imposer sur la scène cinématographique cairote.

Fragments du monde arabe sur écran
Al-Borg (la tour).

Les Journées cinématographiques du Caire organisées par le cinéma Zawya sont une belle histoire qui dure depuis trois ans. Fréquenté par des milliers de spectateurs égyptiens et arabes, ce festival se place déjà parmi les rendez-vous cinématographiques attendus de l’année. Du 10 au 16 avril, 34 films (courts et longs métrages, documentaires) sont programmés dans plusieurs salles.

Mais pourquoi le cinéma arabe en particulier ? C’est une tentative de dégager un langage commun à cette région, allant au-delà de la pluralité des cinéastes. Il s’agit aussi de projeter des films peu distribués. Ceux-ci sont souvent accompagnés, à travers cet événement, de débats et d’ateliers de formation regroupant de jeunes talents de part et d’autre.

Ainsi sont projetées des oeuvres palmées dans les festivals internationaux, tels le film égyptien La Girafe d’Ahmad Magdi, le long métrage Sofia de la réalisatrice d’origine marocaine Mariam Benmbarek ou Weldi (mon cher fils) du Tunisien Mohamed Ben Attia. De quoi multiplier les points de vue, les tons et les genres, de la tragédie au thriller.

Les nouveaux documentaires de l’Egyptienne Amal Ramsis, Tätouna men Baïd (vous venez de loin), de l’Espagnole Eloy Domínguez Seren, Hamada, ou du Germano-Syrien Talal Derki, Of Fathers and Sons, sont parmi les points forts de cette édition.

Cette année, la programmation privilégie les oeuvres traitant de soulèvements populaires et d’autres plus intimistes. Et ce, afin de mieux aborder les enjeux sociaux et humains dans les divers pays arabes.

On cherche à se confronter au réel et à dévoiler les maux de cette région du monde en toute franchise. Alors que de nouvelles violences meurtrières sont commises contre les Palestiniens, le film d’animation Al-Borg (la tour), projeté dans la section des longs métrages, raconte l’histoire de quatre générations de réfugiés vivant dans un camp libanais depuis 1948.

Réalisé par le Norvégien Mats Grorud, mais produit en France, le film décrit l’absurdité du quotidien dans les camps de réfugiés. Il passe en revue les 70 ans du conflit israélo-palestinien, à travers l’histoire de Wardi, une petite Palestinienne de 11 ans qui habite dans un camp libanais. Leur maison de fortune construite avec l’arrivée de son grand-père vers la fin des années 1970 n’a cessé de grandir depuis sept décennies, pour se transformer en une tour familiale ou presque. A chaque étage est logé un membre de la famille qui ne tarde pas à raconter son histoire personnelle. Etage après étage, Wardi rassemble des éléments-clés pour mieux comprendre son histoire.

Le réalisateur travaillant depuis une dizaine d’années sur ce projet a passé au début des années 2000 plus d’un an avec les réfugiés d’un camp libanais, accumulant de précieux témoignages, dont il s’est largement inspiré, pour écrire La Tour.

La route des sacrifices

Dans la lignée des fameux films d’animation du genre, Persepolis et Valse avec Bachir, La Tour mêle la technique d’animation en « stop motion » et celle traditionnelle du dessin en deux dimensions. La stop motion consiste à filmer image par image des marionnettes positionnées dans un décor en trois dimensions. Une technique qui nécessite des animateurs adroits, capables de recopier les différentes émotions sur le visage des personnages.

Toujours dans l’objectif de témoigner des malheurs palestiniens, le documentaire animé Samouni Road, de l’Italien Stefano Savona, se déroule dans la bande de Gaza. Le réalisateur revient sur la mort de 29 membres d’une même famille gazaouie tués par les forces israéliennes. Il s’agit de l’un des terribles drames qui ont eu lieu dans le cadre de l’opération « Plomb durci » en 2009. L’armée israélienne avait attaqué la bande de Gaza : une maison fut bombardée et 29 civils, membres de la même famille, avaient été tués. Documentariste italien, Stefano Savona a passé huit ans à tourner cette oeuvre. Pour montrer ce que les caméras n’avaient pas enregistré, il a eu recours au dessin animé, et a recréé l’attaque de la maison ainsi que certains dialogues entre les personnages. L’effet est à la fois émouvant et plein de sens. Outre la beauté des images qui ressemblent à des gravures, le film réussit à échapper à la gamme de documentaires « d’accusation » ou « d’hommage aux martyrs ».

Le beau documentaire égyptien Tätouna men Baïd (vous venez de loin) d’Amal Ramsis, primé dans plusieurs festivals, raconte lui aussi l’histoire d’une famille palestinienne dispersée par la guerre. Ayant fait des études de cinéma à Madrid, la cinéaste égyptienne a voulu, à travers ce film de 84 minutes, parler de la guerre civile d’Espagne (1936-1939), tout en mettant en avant le rôle des Arabes qui ont participé à la lutte contre le général Franco et le fascisme de l’époque. « L’idée m’est venue en 2003, lorsque j’ai découvert, par hasard et à travers un article paru dans un journal espagnol, la participation des Arabes à la guerre civile d’Espagne », a souligné Amal Ramsis dans la presse. A travers ce documentaire, réalisé entre 2017 et 2018, la réalisatrice a dressé le parcours d’un militant palestinien de gauche, Najati Sidqi, qui s’est joint au combat. Ramsis a réussi à montrer comment la vie de cet activiste palestinien, mort en 1979, a été bouleversée par cette guerre, toute la famille a été dispersée et sa fille aînée a grandi toute seule en Russie. La cinéaste s’est déplacée alors entre plusieurs pays dont le Liban, la Grèce et le Brésil, afin de poursuivre et rassembler les trois enfants de cet ancien leader : Dawlat, Saïd et Hind.

Un nouveau regard tunisien

Fragments du monde arabe sur écran
Tätouna men Baïd (vous venez de loin).

Nombre de films réussissent à traiter la réalité de manière assez gaie et la programmation des Journées cinématographiques du Caire en atteste. Certains orchestrent une radieuse évolution où le spectateur est appelé à renouveler son regard, comme Porto Farina, le troisième film d’auteur du réalisateur et scénariste tunisien Ibrahim Letaief. Au sein de plein d’oeuvres, relativement sinistres, voilà un film, frais, plein d’humour et agréable à voir. Dans Porto Farina, Ibrahim Letaief plonge dans une ambiance « chorale » d’un captivant village de pêcheurs, sur la route de Bizerte, l’âme profonde d’une Tunisie plurielle. C’est là l’exploit d’Ibrahim Letaief qui a su marier harmonieusement le traitement des grandes questions à un humour festif, embelli par des répliques parfois rudes. Pas besoin d’ambiance lourde pour évoquer les maux de la communauté des pêcheurs, l’autorité familiale, le mariage arrangé, la stérilité et l’adoption d’enfant, et faire passer ces messages. Le dit et le non-dit sont portés à l’écran, soutenus par l’image et une belle musique originale de Zouheir Gouja, dans un décor très méditerranéen.

Avec Porto Farina, le cinéma tunisien sort de la cité classique de Tunis, avec ses maisons traditionnelles chargées de marbre et de céramique, pour emprunter le cadre d’un village très tunisien, mais aussi très méditerranéen.

Bref, toute une palette de films tant riches que diversifiés qui méritent d’être vus. Il faut aller prendre ses places le plus tôt possible.

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