Dans son exposition actuelle « Inner Gardens » (jardins intérieurs), Nazli Madkour présente une nouvelle fois ses peintures de roses et de compositions florales. Il serait peut-être impertinent de demander à un artiste pourquoi il a choisi un thème en particulier. Car le choix d’un artiste dépend d’une multitude de facteurs, d’une quête opérée au fond de lui-même, d’un voyage intérieur, d’une tourmente, d’un zèle et d’un labeur, dont l’ensemble compose son itinéraire.
Pourtant, cette question thématique conduirait l’observateur à plonger dans le monde de Nazli Madkour. Sa série de peintures forales, commencée il y a une dizaine d’années, pourrait être considérée comme une phase artistique. Reflète-t-elle l’arrivée du printemps, comme le premier volet de cette série, exposé auparavant à la galerie Ofoq ? Tente-t-elle de transcender le réel qui pèse sur elle, en offrant des solutions positives, optimistes, sur un ton vif et à l’aide de couleurs gaies ? Le plus probable est qu’elle ne se limite pas à ces questions tranchantes, car Madkour semble partir d’un espace plus complexe.
Des coups de pinceau et des couches denses de couleurs qui transmettent une multitude de sentiments profonds.
Elle fait ainsi une plongée verticale dans l’histoire personnelle et collective, sans jamais avoir des idées préalables, mais plutôt avec un penchant pour l’aventure, comme elle le précise dans le catalogue de l’exposition : « Je ne fais aucun plan avant de me lancer dans une nouvelle oeuvre, parce que j’estime qu’elle doit émaner de l’intérieur de moi-même ou, mieux encore, sortir directement de la toile et avoir sa vie propre. J’aime les surprises et le côté découverte, l’imprévisibilité et le frisson, lorsqu’on ne sait pas ce à quoi l’on va aboutir. Je cherche une aventure différente, avec chaque nouveau tableau, sans avoir de solution toute faite ».
Pour ceux qui connaissent l’oeuvre de Nazli Madkour, qui a débuté sa carrière d’artiste professionnelle vers la fin des années 1980, il est facile de relever les éléments-clés de son travail. C’est le cas, par exemple, de la technique des couches de couleurs accumulées, qui font la profondeur des toiles. Il y a également son penchant pour l’art abstrait, même s’il existe parfois chez elle quelques formes figuratives. Sans oublier la vision philosophique, enchevêtrée d’histoire sociopolitique, de son intérêt pour la condition féminine et humaine tout court.
Mystère et découverte
L’impression constante que donne l’artiste, c’est qu’il s’agit d’un mystère, d’un secret « archéologique » venant des temps lointains. Il est donc toujours important de traverser les couches denses de la peinture et les différentes strates de l’oeuvre pour en déchiffrer le mystère.
Dans son exposition Inner Gardens (jardins intérieurs), l’artiste poursuit la même lignée, mais développe davantage, et de manière plus abstraite, ses éléments. C’est-à-dire qu’elle s’éloigne du réel pour donner libre cours à la composition et aux couleurs, afin de mieux dévoiler ses émotions et son univers interne. « Je suis partie de la réalité suivante : le contenu théorique et philosophique d’une peinture se traduit matériellement grâce aux émotions et au tempérament de l’artiste, mais en fin de compte, tous les facteurs déterminant sont en mutation continue », indique-t-elle.
On reconnaît la palette de couleurs gaies et vivantes qui ont teinté les arbres, les fleurs et les plantes de l’une de ses précédentes expositions en 2012. Dans celle de 2014, qui a unifié les fleurs avec la figure de la femme, les roses étaient le symbole des offrandes, de la joie et de l’espoir, ou encore du chagrin et de la persévérance. Mais les oeuvres exposées cette fois-ci s’imposent encore plus, notamment par leurs dimensions. Elles sont tantôt lyriques, presque romantiques, tantôt sobres et violentes, comme pour répondre à l’agression du monde extérieur.
Nazli Madkour ressemble à une alchimiste. Avec son pinceau, elle dépasse le rôle de l’artiste préoccupée par l’esthétique pour embrasser celui du connaisseur de l’âme humaine. Elle a recours aux strates de coloris remarquablement denses, créant sur la toile des reliefs comme ceux de la terre. Elle invite les visiteurs de l’exposition à partager les émotions qui émanent de la toile et les sentiments qu’elle laisse flotter à sa surface. Bref, elle nous invite à l’aider à cultiver son jardin.
A la galerie Picasso jusqu’au 10 avril. 30, rue Hassan Assem, Zamalek. De 10h30 à 21h (sauf le dimanche).
Lien court: