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Des oeuvres imprégnées de soleil

Névine Lameï, Mardi, 19 mars 2019

A 88 ans, le peintre et dessinateur Georges Bahgouri vient d'ouvrir un musée au centre-ville du Caire dans lequel il expose près de 200 de ses oeuvres. Peintures, portraits ou croquis, celles-ci en disent long sur son histoire et celle de l'Egypte.

Des oeuvres imprégnées de soleil
L’artiste s’est aventuré dans toutes les disciplines. (Photo : Mohamad Moustapha)

Partageant sa vie entre le Caire et Paris depuis 1969, le peintre et dessinateur Georges Bahgouri, 88 ans, a récemment ouvert un musée perma­nent qui regroupe ses oeuvres. Le musée rassemble près de 200 oeuvres — sans titres —, entre pein­ture et des sculptures, réalisées entre 1950 et 2018. Les six salles connec­tées au musée Bahgouri comprennent par ailleurs une bibliothèque où sont rangés les livres de l’artiste, ses cro­quis et ses certificats de mérite ainsi que plusieurs petits portraits, proches de ceux de Fayoum, peints par sa femme Nitocris.

Les oeuvres s’entassaient depuis des années dans l’atelier de l’artiste, à Paris. Maintenant, elles sont exposées dans un appartement de 250 m2, au 1er étage d’un vieil immeuble du centre-ville cairote, précisément au 15 rue 26 Juillet. Explorant des formats et des thèmes différents. Elles sont impré­gnées du soleil de l’Egypte, avec notamment des scènes ancrées à jamais dans la mémoire de Bahgouri. Ce sont des scènes du quotidien qu’il excelle à mettre en valeur, en captant tous les détails de la vie des petites gens.

L’entrée du musée ouvre sur un couloir exigu où se détache une grande affiche, mettant en relief le visage de Bahgouri qui accueille ses visiteurs. Ainsi, l’artiste nous prépare à passer en revue sa propre histoire, à partir de sa naissance en Haute-Egypte, en 1932. On découvre Bahgouri le sculpteur. Et ce, à travers des visages qui nous regardent droit dans les yeux. Ils semblent sortir des tombes de Thèbes. Leurs yeux sont dévorants, toujours incomplets. Ils ont été secoués par les « chocs de l’his­toire », cependant, ils restent calmes. Quant à la peinture La Défaite de 1967, elle met en scène plusieurs per­sonnages aux destins tragiques, dans le style de Modigliani. On y retrouve la même élongation, la délimitation des surfaces, l’étirement des corps, la distorsion, etc.

La simplification et la déformation sont très courantes dans les portraits de Bahgouri. D’ailleurs, il leur consacre la plus grande partie de son musée, où ils sont exposés en grands formats, avec des couleurs sobres, tachées d’or. C’est le sacré, à la manière bahgorienne. L’artiste peint L’enfant Jésus, Bahgori le moine tenant en main sa palette de couleurs, ou encore, La Joconde. Si cette dernière est représentée par Da Vinci par un portrait mi-corps qui a contribué à développer le mythe qui l’entoure, chez Bahgouri, La Joconde s’appuie sur un masque montrant son visage. Il en est de même pour l’enfant Jésus, sur l’épaule de sa mère. La Vierge de Bahgouri est auréolée d’un disque solaire, soit l’attribut divin de la déesse égyptienne Isis. A chaque type de masques se rattachent des mythes qui ont pour objet d’expliquer leur origine légendaire ou surnaturelle. Le sacré chez Bahgouri est légèrement caricaturé. Il ne s’attarde pas sur les défauts physiques des personnages. Il ne déforme pas leurs traits, mais sympathise avec eux, dévoile leur âme et leur corps.

Ses personnages sont en perpétuel mouvement, entourés de motifs populaires, caractéristiques des icônes de Bahgouri. Le chaos cairote le provoque, lui inspirant de nombreux sujets.

Picasso, l’idole

Une série de tableaux avec pour thème des musiciens dégage une ambiance de grande fête populaire. L’arrière-fond des toiles est décoré de motifs folkloriques et orientaux, comme les tissus de Khayamiya. Les musiciens populaires, vêtus de djellabas blanches et de tarbouches rouges, jouent de la musique à dos de cheval. L’ensemble dégage de la bonne humeur, tout en reflétant les positions des musiciens, qui sont à la recherche de leur gagne-pain.

Bahgouri appartient à la génération qui a connu l’âge d’or des revues Rose Al Youssef et Sabah Al-Kheir, faisant partie de l’équipe de leurs dessina­teurs. Il a également collaboré avec le journal hebdomadaire Al-Ahram Weekly à sa création. Ses peintures sont donc très influencées par l’exa­cerbation caricaturale des traits et des formes. Sa toile La Flûte de Pan est inspirée du chef-d’oeuvre de Picasso portant le même titre et datant de 1923. Contrairement à Picasso, qui a installé ses deux personnages dans une atmosphère turbulente et mysté­rieuse, Bahgouri les a transformés en deux musiciens qui se meuvent dans une ambiance gaie, sous le soleil d’Egypte, accompagnés de danseuses orientales. Fidèle au style de Picasso et à la densité d’expression, Bahgouri a peint différemment d’innombrables portraits de son idole : Il a consacré à Picasso toute une salle dans son musée. Voici Picasso seul ou Picasso avec son épouse au bord de la mer, etc.

La peinture Picasso au bord de la mer a été réalisée dans un style cubiste. Elle surprend par l’incroyable mouvement et l’extraordinaire vitali­té, avec Picasso et son épouse qui flottent dans le vide. Une peinture d’un bleu captivant, réunissant le ciel et le sable, soit un horizon infini. Dans cette même salle dédiée à Picasso, Bahgouri expose également quelques portraits représentant des personnes chères à son coeur : Ghali Choucri, Salah Jahine, Sayed Hégab, Van Gogh, Abdel-Nasser, Oum Kalsoum, et d’autres. Cette dernière est souvent peinte, avec son mouchoir embléma­tique, dans un état d’extase. Pour Bahgouri, la diva a marqué une période importante de l’histoire de l’Egypte. Elle est l’expression d’une nostalgie profonde, ressentie pour cette époque aujourd’hui révolue.

S’exprimer librement

Des oeuvres imprégnées de soleil
Des visages sculptés, rarement exposés.

Bahgouri peint aussi son père, sa belle-mère, sa tante ainsi que des scènes de son enfance, lorsqu’il jouait dans la rue, dans les cafés populaires, les fêtes foraines. Ce sont des scènes montrant des derviches tourneurs, des paysans, des marchands ambulants de fruits, des prêtres et des saints. Autant de scènes du quotidien animant le nouveau musée Bahgouri. L’artiste se plaît à reproduire son Egypte avec beaucoup d’humour et de savoir-faire. Parfois, le ton frise la nostalgie dans une synthèse riche et émotionnelle de tout ce qu’a connu le pays.

Dans son exil volontaire à Paris, Georges Bahgouri a réalisé, dans les années 1980, plusieurs toiles de femmes nues. C’est l’expression d’un sentiment de liberté retrouvée, d’une joie insouciante. Ces nues sont très représentées dans deux salles, révé­lant l’audace du peintre. Il fait parler, à sa façon, le corps féminin, avec ses rondeurs et ses splendeurs.

Bahgouri s’est inspiré de certains artistes cambodgiens, africains et de la période bleue de Picasso, au style épuré. La Plage des nues, aux cou­leurs claires et limpides, attire l’atten­tion des visiteurs. L’artiste conteste la censure imposée récemment sur la peinture de nus, qui était très courante dans les années 1950, loin des tabous et des interdictions. Il considère qu’avec son âge et sa célébrité, il a le droit de tout dire et de s’exprimer librement.

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