Des formes abstraites résument le style de Zaha Hadid. (Photo : Bassam Al-Zoghby)
Tout commence par une scène sombre, avec très peu d’éclairage. On n’entend pas vraiment la musique, juste quelques sons qui nous mettent en état d’alerte. Les danseurs tournent le dos au public et sont assis parterre, comme durant une séance de méditation. Puis, ils se mettent debout et avancent vers une montagne dorée au fond de la scène. C’est ainsi que débute le spectacle de danse Les Larmes de Hadid, chorégraphié et mis en scène par Walid Aouni et interprété par la troupe de danse-théâtre de l’Opéra du Caire. En coopération avec le ballet Préljocaj, il sera donné à Aix-en-Provence à la fin du mois de mars, à la suite d’une résidence artistique et d’un atelier regroupant les membres des troupes française et égyptienne.
Les danseurs retirent ensuite les toiles en cuir doré de cette montagne qui dévoile diverses formes architecturales en fer. L’un des danseurs, portant un ballon en fil de fer, semble manipuler tout l’univers par un geste de la main. C’est un soufi qui aspire à aller au-delà des sens. « Toutes les interprétations sont valables. J’aime jouer avec les mots. Hadid signifie fer et ici, c’est le fer qui pleure Madame Hadid », indique Aouni. Le titre, Les Larmes de Hadid, veut aussi dire que l’architecte Zaha Hadid aurait déploré le sort de l’homme qui cherche inlassablement un sens à la vie.
Aouni, en travaillant sur les designs de Zaha Hadid et son concept de déconstructivisme, a remarqué son approche géométrique, les diagonales et les points d’appui qui la distinguent. « Au Liban, une construction urbaine signée Hadid est en cours d’exécution. Sur le chantier, j’ai été attiré par les formes et le design. On y retrouve pas mal de points communs avec la danse soufie. Ses formes architecturales n’ont pas de point définitif de départ ni de fin. Le point d’appui de son design me rappelle le mouvement du pied d’un derviche tourneur », explique le chorégraphe. Et d’ajouter : « Le concept de l’espace est bien présent dans le soufisme, où l’univers est illimité. Zaha Hadid poursuivait cette quête à travers la surface et l’espace ».
Les danseurs font découvrir aux spectateurs les designs simplifiés de l’architecte Zaha Hadid. Il s’agit de sculptures abstraites inspirées de l’oeuvre de Hadid, qui ont été créées par l’artiste belge Sophie Cauvin. Celle-ci souligne dans un texte sur son travail : « Dans mes sculptures, je déconstruis les formes géométriques de base, afin de redécouvrir un nouvel espace. Le fait de sortir du cadre traditionnel des formes est ce qui donne de la force aux oeuvres architecturales exceptionnelles et magnifiques de Zaha Hadid ». Les danseurs se faufilent parmi les formes architecturales, dansent à l’intérieur des cadres, créent des liens entre eux.
Les rythmes africains utilisés dans le spectacle cadencent des scènes vives, pleines d’énergie. La chorégraphie est rapide et bien élaborée. Il s’agit souvent de danses collectives qui traduisent la course contre la montre caractérisant la vie de Hadid ainsi que les relations compliquées entre les hommes.
Se libérer des styles rigides
A l’aide d’un montage audio, Aouni introduit quelques extraits de discours de Zaha Hadid dans le spectacle. Il réussit ainsi à créer un tempo particulier. Dans l’une des scènes, on voit un danseur enrobé de papier bulle et entouré d’architectes avec des casques. C’est un homme enchaîné par les formes strictes de l’architecture, mais il ne tarde pas à se libérer. En fait, c’est ce que faisait Hadid, en se libérant des formes et des styles rigides.
Une autre scène se réfère au fait que Zaha Hadid créait elle-même ses vêtements et n’a pas manqué d’influencer la mode. Avec des jupes en argent et des parapluies, les danseurs défilent sur les planches pendant quelques secondes, faisant un clin d’oeil au style Hadid. Aouni projette également quelques formes géométriques, conçues par Réda Salah. Des formes hélicoïdales qui tournent et qui simulent le mouvement des derviches tourneurs. Une fumée verdâtre et bleuâtre accentue l’ambiance spirituelle.
Le spectacle arrive vers la fin, avec notamment le dernier discours de Zaha Hadid sur l’importance de l’éducation « C’est mon dernier message », dit-elle. De nouveau, les danseurs se meuvent à l’intérieur des formes géométriques. Sur les coups de cymbales et une musique mélancolique et spirituelle, leurs mouvements deviennent plus doux. Petit à petit, l’éclairage s’assombrit. L’âme est plus apaisée et sereine à la fin de ce voyage spirituel.
Les Larmes de Hadid, les 28 et 29 mars, à 20h, au pavillon noir du centre chorégraphique national d’Aix-en-Provence.
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