Vendredi, 13 septembre 2024
Al-Ahram Hebdo > Arts >

Ulaa Salim : Je ne trouve aucun inconvénient à avoir deux appartenances

Mona Chédid, Lundi, 04 février 2019

Sons of Denmark (les fils du Danemark), le film du réalisateur iraqien Ulaa Salim, vient d’être projeté à la compétition officielle du 48e Festival international du film de Rotterdam, qui s’est achevé le 3 février. Entretien avec le cinéaste qui vit au Danemark.

Ulaa Salim

Al-Ahram Hebdo : Comment est néce film qui aborde le fanatisme de part et d’autre, du côté de simples citoyens comme celui de politiciens, également fanatiques?

Ulaa Salim : Je travaille sur ce film depuis plus de six ans, c’est-à-dire dès que j’ai rejoint l’école de cinéma du Danemark. Mes professeurs m’ont demandé de présenter l’idée d’un long métrage, alors j’ai commencé à y penser. Durant les années d’étude, j’ai travaillé sur le développement du scénario et des personnages. Au départ, mes professeurs y ont vu une exagération des événements qu’ils ont jugés irréalistes. Mais avec le temps et l’évolution du scénario, leur avis a changé. Quand je leur ai présenté la dernière version du scénario, à la fin de mes études, ils ont admis qu’il était très proche de la réalité. En l’espace de six ans, leur vision des événement sa nettement changé. C’est pourquoi j’ai préféré insister sur le fait que les événements se déroulent en 2024 et que je me projette dans le temps, pour mieux manipuler le jeu dramatique comme je veux.

— Leur opinion a-t-elle changé parceque la réalité elle-même a progressivement changé, avec le temps ?

— Oui, les choses ont changé avec le temps.Il y a quelques années, beaucoup de choses que nous jugions exagérées sont devenues ordinaires dans nos sociétés.

— Pourquoi avez-vous choisi d’attirer d’abord le spectateur par une histoireordinaire d’explosions en chaîne et d’unjeune arabe qui a choisi d’adopter la violence ? Et ce, avant de passer à une toute autre histoire mettant en scène un jeune Arabe cagoulé, qui essaye d’infiltrer des groupes intégristes ...

— J’ai voulu exploiter les partis pris et les préjugés pour pousser les gens à croire qu’ils regardent quelque chose qu’ils connaissent parfaitement bien, avant de passer à autre chose et confirmer que la réalité est, en l’occurrence, toute différente. J’ai voulu montrer qu’il existe d’autres dimensions et que l’histoireest beaucoup plus compliquée, dépassant la classification naïve du noir et du blanc, du bonet du méchant. Le pari était de faire parvenir cette idée. Ainsi, le public a été surpris, car toutes ses expectatives et tous ses préjugés ont été bouleversés à la fin. J’espère y avoir réussi.

— La structure du film avait-ellepour objectif de gagner la compassiondu spectateur occidental envers lespersonnages ?

— Non, ce n’était pas là mon objectif. Mon principal objectif était d’orienter progressivement le spectateur vers la compréhension des trois personnages principaux et de leurs motivations, Malik, Zakariya et Martin Nordhal, cet homme politique, lui-même extrémiste. Pour moi,il n’est pas méchant. Tous les personnagesont leurs convictions, mais personne n’estprêt à comprendre le point de vue de l’autre. La peur domine leurs comportements, les poussant souvent à la violence. Car ils n’ont qu’un seul objectif : protéger leurs familles alors qu’ils voient clairement que la société vit de grands maux qui peuvent affecter leur vie. En travaillant sur ce film, je n’ai jamais cherché à faire comprendre aux Européens ce que sont les Arabes. Par contre, je voulais dire au spectateur : tu es un être humain. En regardant ce film, je veux que tu ressentes le dilemme que vivent ces personnages, que tu ressentes l’énorme peur et le désespoir qui les ravagent. Le film ne s’adresse ni aux Arabes seulement, ni aux Européens seulement. Ils’adresse à tout le monde.

— Est-ce qu’il était difficile de produire unfilm pareil au Danemark ?

— Non, pas du tout. La fondation New Danish Screen apporte son soutien aux jeunes talents, nouvellement diplômés de l’école de cinéma. Elle les encourage à produire des films, selon leur propre manière de voir. Jamais on n’adiscuté s’il était permis ou non aux personnages de parler en arabe, si les idées du film étaient exagérées ou s’il était difficile de les accepter. Les discussions tournaient plutôt autour dece que voulaient ces personnages, autour dece que nous voulions faire parvenir à travers l’histoire. Nous n’avons connu aucune censureni contrainte, avant ou après le tournage.

— Le film fait-il allusion au rôle que peuvent jouer les politiciens dans le déclenchement des conflits au sein d’une société donnée ?

— Les politiciens ressemblent aux parents, au père et à la mère. S’ils éprouvent des sentiments de haine, ceux-ci se transmettent directement aux enfants. C’est mon point de vue et la raison pour laquelle nous ne devons pas permettre à detelles personnes d’accéder au pouvoir, car leur influence est énorme, par la suite. Je ne pense pas que nous soyons actuellement à ce stade, mais nous avançons sur cette voie.

— Comment avez-vous participé à lacompétition du Tigre d’or de Rotterdam ?

— J’avais déjà participé au Festival de Rotterdam avec un court métrage. J’ai été chanceux car la direction du festival a sélectionné mon film, Les Fils du Danemark, pour participer à la compétition officielle et la première projection internationale se passeau Festival de Rotterdam. C’est un excellent début. Puis, le film a été projeté au Festival international du film de Göteborg en Suède.

— Restez-vous quand même très attaché à vos origines iraqiennes ?

— J’ai visité plusieurs fois le Moyen-Orient et je parle l’arabe avec mes parents à la maison. Je suis fier de mes origines, sachant que je suis né et que j’ai grandi au Danemark. C’est le pays où j’ai toujours vécu. C’est compliqué. C’est ce que j’ai essayé d’exprimer à travers les personnagesde mon film Les Fils du Danemark. Zakariavit au Danemark, écoute sa musique et ses chansons. Il parle danois avec ses amiset arabe avec sa famille. C’est compliqué d’avoir des origines dont on est fier et d’appartenir à un autre pays pour lequel on est reconnaissant. Le Danemark est monsecond pays. Je ne trouve aucun inconvénient à avoir deux appartenances.

Mots clés:
Lien court:

 

En Kiosque
Abonnez-vous
Journal papier / édition numérique