Quatre groupes de la scène alternative égyptienne se sont produits ensemble, la semaine dernière, lors d’un concert spécial, pour célébrer le 10e anniversaire de l’espace culturel indépendant Darb 1718, à Fostat, dans le Vieux Caire. Ainsi, Bahgaga (joie), Hawas (obsession), Elmena (le port) et Disco Misr ont fait vibrer les lieux par leurs rythmes et mélodies très différents, résumant en quelque sorte les différentes tendances de la musique dite underground, en Egypte. L’occasion de dresser un état des lieux de cette scène musicale, qui a connu un grand essor ces dernières années, précisément au lendemain de la révolution de 2011.
Hawas s’adresse d’abord au public en ligne.
Ces groupes alternatifs, qui chantaient déjà des paroles contestataires et provocantes, ont rencontré un public de plus en plus large grâce aux réseaux sociaux. Ils ont exprimé, haut, la voix des jeunes. Et en peu de temps, leurs membres sont devenus des stars. Depuis 2014, de nouveaux groupes sont nés et puisent davantage leur inspiration dans le patrimoine, optant pour des textes moins directs.
« Les circonstances politiques ont bien favorisé l’essor de ce genre de groupes. Le public cherchait dans leurs chansons des sens qu’il n’arrivait pas à exprimer. L’ambiance permettait également de tout dénoncer, tout critiquer, ce qui n’est pas tout à fait le cas aujourd’hui », souligne le compositeur et parolier Ayman Helmi, fondateur et directeur du groupe Bahgaga. Helmi, qui a écrit, en 2012, la chanson Saraqo Al-Dostour (ils ont volé la Constitution), interprétée à l’époque par le groupe Hala, a lancé, en 2015, le groupe satirique Bahgaga, visant essentiellement à vivifier, avec les cinq jeunes filles, membres du groupe, le genre du monologue humoristique, chanté autrefois dans les films ou sur les planches. « Les temps ont changé. Les paroles rebelles et les chansons engagées n’ont plus le vent en poupe », affirme-t-il.
Ayman Helmi a eu donc recours à l’art du monologue qui sert normalement à critiquer plein d’aspects sociaux de façon humoristique. Chaque chanson sonne comme un sketch ou drame, dans laquelle comédie et chant se mêlent. Il puise dans le répertoire de l’artiste Chokoukou, d’Ismaïl Yassine et d’autres, en présentant de nouveaux arrangements. De plus, il écrit et compose d’autres sketchs contemporains.
Du coup, on rit et on s’amuse bien avec des chansons comme Tante Dossa, Khalas Al-Foul (il n’y a plus de fève) et Fassahini Ya Mama (maman, fais-moi sortir). Dans 2063, Helmi se moque de ces projets qui visent, à long terme, à promouvoir la société égyptienne. « A l’occasion de l’événement El-Festival, j’ai présenté un nouvel arrangement de cette chanson, en collaboration avec deux nouvelles interprètes. J’essaie de former un deuxième groupe de chanteuses spécialistes du genre », dit-il.
Le parcours du groupe Bahgaga a été marqué par une année de suspension, entre 2016 et 1017, à défaut de financement. « Les groupes alternatifs souffrent surtout du manque de moyens financiers. Les réseaux sociaux ont contribué à la diffusion de nos chansons et à faire connaître certains groupes, mais pour en tirer un profit, il faut une bonne connaissance des règles de marketing et de communication en ligne. Et dans certains cas aussi, il nous faudrait des budgets supplémentaires », fait remarquer Helmi.
Les stars de la toile
Disco Misr enflamme les pistes de danse.
En s’autofinançant et en gérant bien sa présence en ligne, avec un budget minimum, le groupe Hawas (obsession), créé en 2014, a connu un certains succès. Les 8 membres, dont certains sont issus du groupe engagé Al-Maghna Khana, ont opté pour le funk oriental, tout en cherchant à améliorer la qualité du son et des paroles. Pour ce faire, Hawas collabore souvent avec les paroliers Noor Eddine, Haissam Dabbour et Fahd Ibrahim. Les artistes ont aussi interprété des poèmes classiques du Syrien Nizar Qabbani, avec la chanteuse Chérine Abdou.
Au départ, Hawas a commencé par lancer un mini-album sur Soundcloud, renfermant seulement quatre titres. Celui-ci servait à introduire leur travail, avant de cibler un public plus large, en postant le vidéo-clip animé Tal Al-Sahar (longue veillée). Et depuis, il ne cesse de poster ses chansons et des extraits de ses concerts sur les réseaux sociaux. Une belle astuce de diffusion pour tous les groupes alternatifs.
Un an plus tard, le groupe a sorti son deuxième mini-album, plus jazzy : Zay Al-Chéta (comme l’hiver). Ses musiciens déploient tous leurs efforts afin de continuer à s’autofinancer et à préserver leur autonomie, loin des contraintes du marché.
La ville d’Alexandrie a également vu naître plusieurs troupes underground, notamment en 2015, avec la percée du groupe Elmena (le port). Composé de 6 musiciens, celui-ci tente de mélanger les oeuvres du patrimoine musical égyptien avec des airs de jazz, de hip-hop, de reggae et de blues. Souvent, leurs chansons portent une identité plus méditerranéenne, propre à Alexandrie.
D’ailleurs, le mois dernier, la troupe a été lauréate du concours organisé en ligne par les Emirats arabes unis, sous le titre d’Aloft Star, avec son tube Sahab (ami). L’obtention du prix a bouleversé le parcours du groupe, en lui offrant un plus grand soutien médiatique et financier. Il va bientôt signer un single avec la troupe internationale Mena aux Abbey Road Studios. Elmena a déjà plus de 14 000 fans sur Facebook.
Remix d’Oum Kalsoum
Elmena, groupe lauréat de l’Aloft Star.
Amr Emad et Moustapha Al-Chérif ont formé Disco Misr, un duo de DJ qui fait revivre les sons orientaux, avec une touche disco et funk. En peu de temps, ils sont devenus très populaires en Egypte, notamment avec leurs remix des tubes d’Oum Kalsoum et de Abdel-Halim Hafez. Emad et Al-Chérif ont jugé que l’Electro et la Progressive House mouraient déjà, alors ils ont opté pour la Deep House et le Nu-Disco, en les associant aux Chaabi (électropopulaire), à la pop arabe des années 1980-1990, etc. Ils ont créé des compilations festives, rythmées et dansantes, de quoi leur attirer un large public.
On entend souvent, dans leurs chansons, des refrains chantés par des chanteurs connus comme Afaf Radi ou Abdel-Halim Hafez, ou encore par des groupes comme Egyptian Project et Mashroue Laïla. Et ils se disent fiers de tirer sur la corde de la nostalgie. Un mélange sollicité sur les réseaux sociaux aussi bien que dans les concerts, où tout le monde est pris par l’envie de danser.
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