Leil Kharégui (nuit extérieure).
Solitude et peine des marginaux et des exclus de la société, telles sont les principales matières des drames favoris du jeune réalisateur Ahmad Abdallah Al-Sayed. Depuis Héliopolis, en passant par Microphone, Farch Wa Ghata (microphone, tapis et couverture) et Décor, le cinéaste ne manque aucune occasion de nous faire nager dans ses eaux préférées : le drame psychologique.
Son nouveau film Leil Kharégui (nuit extérieure), projeté lors de la 40e édition du Festival du film du Caire, qui vient de s’achever, suit les événements principaux, qui se déroulent en une seule nuit, à travers l’histoire de trois protagonistes : Mohamad, ou Mo — joué par Karim Qassem — un jeune réalisateur qui travaille sur son premier film, mais est obligé de réaliser des annonces publicitaires pour gagner son pain. Le deuxième protagoniste est Moustapha, un chauffeur de taxi — interprété par Chérif Al-Dessouqi — qui vient travailler comme chauffeur sur le plateau de tournage. C’est là qu’il rencontre Mo et l’accompagne avec son taxi durant toute la soirée. Le troisième personnage est Toutou, une fille de la nuit — campée par Mona Hala — et l’amie de Gémi, le neveu de Moustapha. Les trois vivent ensemble une nuit pleine de problèmes, se déplaçant avec le taxi dans de nombreux lieux à travers lesquels ils redécouvrent la ville et leurs vies.
Le script, signé Chérif Al-Alfi, reste bien ficelé. Le jeune scénariste évite de tomber dans la trame cliché, en se concentrant sur différents niveaux de narration. En dépit d’un cadre dramatique donnant une impression de déjà-vu rappelant le film Laïla Sakhéna (nuit chaude) de Atef Al-Tayeb, avec Nour Al-Chérif et Lebléba, la fiction est basée sur des plans de narration assez réussis, qui lient l’espace temporel et les protagonistes dans un ensemble berçant entre suspense, comédie et parfois tragédie. Le film inclut plusieurs actions et introduit quelques personnages secondaires tout au long des événements. Un film intéressant, malgré une simplicité visuelle et technique bien nette. Que ce soit en raison du petit budget ou de la préférence technique du réalisateur, c’est là l’une des caractéristiques du cinéma présenté par Ahmad Abdallah.
Malgré quelques fautes de raccord et des chutes de rythme, la mise en scène reste assez animée. L’utilisation habile des décorations, des couleurs et des espaces clos fait en sorte que les yeux ne sont pas gênés par l’obscurité et la modestie du visuel. Le mouvement des caméras, à la fois libre et maîtrisé, fait naître une atmosphère simple et naturelle, adéquate à ce genre de film. Assez sombre, profond, et se voulant différent, Leil Kharégui appartient au genre de films qui reposent essentiellement sur leurs protagonistes et misent sur l’interprétation par les comédiens. Sur ce plan, le pari est gagné. Les comédiens sont presque tous excellents, surtout le trio, qui paraît mûr dans la prestation des rôles, Mona Hala, très convaincante dans son rôle, et le talentueux Chérif Al-Dessouqi, qui a réussi à arracher le Prix de la meilleure interprétation masculine lors du festival. En bref, une trame universelle placée dans un cadre égyptien, même si l’action est parfois très expérimentale.
L’histoire de la girafe
En ce qui concerne le deuxième film montré lors du festival, il s’agit de La Ahad Honak ... Al-Zarafa (personne n’est là ... la Girafe), du jeune comédien Ahmad Magdi, qui signe ici premier film en tant que réalisateur.
Il s’agit de l’histoire d’un groupe de jeunes ayant le même entourage, mais dont chacun se sent isolé et seul, chargé d’une histoire personnelle difficile. Un incident vient les unifier, celui de l’avortement clandestin de l’une de leurs amies. L’un des protagonistes — joué par Ahmad Magdi lui-même — raconte à ce propos l’histoire d’une girafe femelle qui a donné naissance à une petite girafe malgré l’absence d’une girafe mâle dans tout le zoo. Ce qui a été considéré comme un miracle par les responsables du zoo, qui ont refusé toutefois de reconnaître le nouveau-né et l’ont placé hors du zoo. Une histoire fantaisiste, qui entend servir de symbole, selon le réalisateur-scénariste, pour « toute une nouvelle génération isolée et qui manque de reconnaissance de la part de la société ».
Histoire absurde, personnages anxieux, élan dramatique mêlé à une certaine lourdeur psychique — le jeune réalisateur visait à faire de son film une oeuvre singulière, notamment grâce aux dialogues et à la bizarrerie de l’histoire de la girafe comme de certains protagonistes. Toutefois, le résultat est un peu hors trajectoire. La mise en scène est tout de même remarquable, même par sa froideur, montrant qu’on est face à un réalisateur qui a son propre style.
La narration non linéaire, les nombreuses références morales, l’image se servant de l’éclairage et le bruit naturel, les dialogues, les comédiens, presque tout fonctionne pour servir l’idée absurde et sombre recherchée par le réalisateur. Un concept des plus simples, mais qui se veut sophistiqué ; un style presque cliché dans beaucoup de premières oeuvres du cinéma indépendant. Personne n’est là fait donc partie de ces premiers films auxquels on ne reproche pas grand-chose, mais qui ne sont tout de même pas très bien conçus.
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