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Entre le drame et l’absurde

Yasser Moheb, Mardi, 04 décembre 2018

Deux films égyptiens indépendants viennent d’être projetés lors de la 40e édition du Festival du film du Caire. Leil Kharégui (nuit extérieure), d’Ahmad Abdallah Al-Sayed, et La Ahad Honak … Al-Zarafa (personne n’est là … la girafe), premier film du réalisateur Ahmad Magdi.

Entre le drame et l’absurde
Leil Kharégui (nuit extérieure).

Solitude et peine des marginaux et des exclus de la société, telles sont les principales matières des drames favo­ris du jeune réalisateur Ahmad Abdallah Al-Sayed. Depuis Héliopolis, en pas­sant par Microphone, Farch Wa Ghata (micro­phone, tapis et couverture) et Décor, le cinéaste ne manque aucune occasion de nous faire nager dans ses eaux préférées : le drame psycholo­gique.

Son nouveau film Leil Kharégui (nuit exté­rieure), projeté lors de la 40e édition du Festival du film du Caire, qui vient de s’achever, suit les événements principaux, qui se déroulent en une seule nuit, à travers l’histoire de trois protago­nistes : Mohamad, ou Mo — joué par Karim Qassem — un jeune réalisateur qui travaille sur son premier film, mais est obligé de réaliser des annonces publicitaires pour gagner son pain. Le deuxième protagoniste est Moustapha, un chauffeur de taxi — interprété par Chérif Al-Dessouqi — qui vient tra­vailler comme chauffeur sur le pla­teau de tournage. C’est là qu’il ren­contre Mo et l’accompagne avec son taxi durant toute la soirée. Le troi­sième personnage est Toutou, une fille de la nuit — campée par Mona Hala — et l’amie de Gémi, le neveu de Moustapha. Les trois vivent ensemble une nuit pleine de pro­blèmes, se déplaçant avec le taxi dans de nombreux lieux à travers lesquels ils redécouvrent la ville et leurs vies.

Le script, signé Chérif Al-Alfi, reste bien ficelé. Le jeune scénariste évite de tomber dans la trame cliché, en se concentrant sur différents niveaux de narration. En dépit d’un cadre dramatique donnant une impression de déjà-vu rappelant le film Laïla Sakhéna (nuit chaude) de Atef Al-Tayeb, avec Nour Al-Chérif et Lebléba, la fiction est basée sur des plans de narration assez réussis, qui lient l’espace temporel et les protagonistes dans un ensemble berçant entre suspense, comédie et parfois tragédie. Le film inclut plusieurs actions et introduit quelques personnages secondaires tout au long des événements. Un film intéres­sant, malgré une simplicité visuelle et technique bien nette. Que ce soit en raison du petit budget ou de la préférence technique du réalisateur, c’est là l’une des caractéristiques du cinéma présenté par Ahmad Abdallah.

Malgré quelques fautes de raccord et des chutes de rythme, la mise en scène reste assez animée. L’utilisation habile des décorations, des couleurs et des espaces clos fait en sorte que les yeux ne sont pas gênés par l’obscurité et la modestie du visuel. Le mouvement des caméras, à la fois libre et maîtrisé, fait naître une atmos­phère simple et naturelle, adéquate à ce genre de film. Assez sombre, profond, et se voulant diffé­rent, Leil Kharégui appartient au genre de films qui reposent essentiellement sur leurs protago­nistes et misent sur l’interprétation par les comé­diens. Sur ce plan, le pari est gagné. Les comé­diens sont presque tous excellents, surtout le trio, qui paraît mûr dans la prestation des rôles, Mona Hala, très convaincante dans son rôle, et le talen­tueux Chérif Al-Dessouqi, qui a réussi à arracher le Prix de la meilleure interpré­tation masculine lors du festi­val. En bref, une trame univer­selle placée dans un cadre égyp­tien, même si l’action est par­fois très expérimentale.

L’histoire de la girafe

En ce qui concerne le deu­xième film montré lors du festi­val, il s’agit de La Ahad Honak ... Al-Zarafa (personne n’est là ... la Girafe), du jeune comédien Ahmad Magdi, qui signe ici premier film en tant que réalisateur.

Il s’agit de l’histoire d’un groupe de jeunes ayant le même entourage, mais dont chacun se sent isolé et seul, chargé d’une histoire person­nelle difficile. Un incident vient les unifier, celui de l’avortement clandestin de l’une de leurs amies. L’un des protagonistes — joué par Ahmad Magdi lui-même — raconte à ce pro­pos l’histoire d’une girafe femelle qui a donné naissance à une petite girafe malgré l’absence d’une girafe mâle dans tout le zoo. Ce qui a été considéré comme un miracle par les respon­sables du zoo, qui ont refusé toutefois de reconnaître le nouveau-né et l’ont placé hors du zoo. Une histoire fantaisiste, qui entend servir de symbole, selon le réalisateur-scéna­riste, pour « toute une nouvelle génération isolée et qui manque de reconnaissance de la part de la société ».

Histoire absurde, personnages anxieux, élan dramatique mêlé à une certaine lourdeur psy­chique — le jeune réalisateur visait à faire de son film une oeuvre singulière, notamment grâce aux dialogues et à la bizarrerie de l’histoire de la girafe comme de certains protagonistes. Toutefois, le résultat est un peu hors trajectoire. La mise en scène est tout de même remarquable, même par sa froideur, montrant qu’on est face à un réalisateur qui a son propre style.

La narration non linéaire, les nombreuses réfé­rences morales, l’image se servant de l’éclairage et le bruit naturel, les dialogues, les comédiens, presque tout fonctionne pour servir l’idée absurde et sombre recherchée par le réalisateur. Un concept des plus simples, mais qui se veut sophistiqué ; un style presque cliché dans beau­coup de premières oeuvres du cinéma indépen­dant. Personne n’est là fait donc partie de ces premiers films auxquels on ne reproche pas grand-chose, mais qui ne sont tout de même pas très bien conçus.

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