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Matthieu Bareyre : J’ai voulu faire un film du point de vue de la jeunesse, et non pas sur la jeunesse

Yasser Moheb, Mardi, 13 novembre 2018

3 questions au jeune réalisateur français Matthieu Bareyre, à l’occasion de la projection de son premier documentaire, L’Epoque, au Panorama du film européen 2018.

Matthieu Bareyre

Al-Ahram Hebdo : Votre film, L’Epoque, réussit à plonger avec beaucoup de détails dans les souffrances et les rêves des jeunes à Paris, de 2015 à 2017. Comment est née l’idée de ce premier documentaire ?

Matthieu Bareyre : Au lendemain des attentats contre Charlie Hebdo, j’ai senti que quelque chose était en train de changer, et que c’était lié à des sentiments très rancuniers et enragés d’impuissance et d’angoisse, qui pouvaient conduire au terrorisme ou à d’autres réactions encore plus profondes. Face à plusieurs attitudes et changements de lois de la part du gouvernement français, il me semblait impossible que les gens restent dans le silence. Je n’avais pas du tout envie de vivre les mois et les années qui allaient venir comme un spectateur. Ce qui m’intéressait surtout, c’était de voir comment ma génération, et surtout les plus jeunes, allaient réagir. J’ai commencé alors à chercher une petite caméra d’une résolution capable de tourner un film de cinéma. J’ai passé 2 ou 3 mois à chercher pour fournir un format digne d’être projeté dans les salles de cinéma ; on a été obligé de se déplacer avec des micros et des équipements spéciaux dans nos sacs à dos pendant les trois ans de tournage !

— Pourquoi le choix de la nuit comme espace temporel dans tout le film ?

— Moi, j’aime la nuit. Et je trouve que c’est le moment où l’on se sent libre, à l’aise, loin des contraintes, des responsabilités formelles et des systèmes de vie agitée de la journée. C’était pendant la nuit que j’avais le plus de temps pour parler avec les jeunes, les laisser se confier, étant donné que c’est l’idée essentielle du film. C’est une période sombre dans laquelle j’ai voulu plonger pour y trouver des étincelles de joie, de vie et de révolte ; des petites choses qui vibrent et des émotions qui scintillent. Quant à la jeunesse, elle me semble la période la plus importante, que ce soit pour les êtres humains ou les Etats. Une période qui n’est pas toujours belle, mais parfois pleine d’angoisse, d’agitation et de bouleversement dans les sentiments et les désirs. Les jeunes, c’est une catégorie à part, à la fois célébrée et niée. On se sert d’eux — le plus souvent — et de la jeunesse en général comme publicité, mais on ne les écoute presque pas. J’ai donc voulu donner la parole aux jeunes, faire un film du point de vue de la jeunesse et non pas un film sur la jeunesse. Je ne voulais pas qu’il y ait de la distance.

— Combien de temps a pris la période de post-production ?

— J’ai tourné pendant 3 ans et un an a été également nécessaire pour fabriquer le film. Pour obtenir ces impressions et confessions des protagonistes, il a fallu des heures et des heures de film. J’avais bien en tête de faire un film assez lyrique, intense du point de vue sentimental, avec des sentiments très contrastés, très à fleur de peau, mais comme on vivait un temps soumis à plein d’idéologies et d’interprétations différentes, je n’avais pas du tout envie de filmer sans beaucoup regarder et beaucoup entendre. J’avais envie que les personnages me parlent, eux. Toutefois, la grande difficulté était de trouver les personnes et qu’elles se confient. D’où le choix des rares espaces — les toits ou les trottoirs — où les jeunes arrivent à exister dans une ville qui n’a pas été structurée pour qu’ils puissent s’y accommoder. Une capitale, comme beaucoup d’autres, qui est devenue de plus en plus sous surveillance. Finalement, je voulais faire une oeuvre sur la liberté vue par chacun, la liberté vécue et celle imaginée .

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