Guerres, manifestations, réfugiés, changements de régimes, attaques terroristes, militantisme et mouvements populaires, cette 11e cuvée du Panorama du film européen prend une coloration politique avec plusieurs films reflétant différents aspects et événements politiques et historiques des pays d’où ils viennent. Commençons par l’aspect historique.
Et qui dit Histoire dit la période de l’après-Deuxième Guerre mondiale, celle des années 1950, qui a apporté beaucoup de changements politiques qui influencent le monde jusqu’à aujourd’hui, soit la période de la Guerre froide. Une période examinée par deux films : le long métrage polonais Cold War (guerre froide), réalisé par Pawel Pawlikowski, et le film britannique The Death of Stalin (la mort de Staline), réalisé par Armando Iannucci. Deux oeuvres qui ont été acclamées lors du dernier Festival de Cannes.
Guerre froide raconte l’histoire d’un musicien épris de liberté et d’une jeune chanteuse passionnée qui vivent un amour impossible pendant la guerre froide entre la Pologne stalinienne et le Paris bohème des années 1950.
Pawel Pawlikowski dédie son film à ses parents, étant donné que l’histoire est en partie autobiographique. Lui, il a dû quitter son pays à la préadolescence. C’est un chant de l’exil impossible, qui raconte aussi l’histoire d’une génération d’artistes qui a dû quitter la Pologne communiste pour vivre en Occident. Mais Zula — jouée magnifiquement par Joanna Kulig — ne peut pas vivre en France, Viktor ne peut pas vivre sans Zula, même s’il l’a déjà trahie une fois. Mais le coeur de la belle Zula, lui, restera fidèle.
En s’ouvrant sur le parcours de Viktor — interprété par Tomasz Kot, musicien charismatique — et de deux autres Polonais spécialistes en musicologie, choisis par le parti pour chercher et fournir des chanteurs dans la campagne polonaise pour alimenter un spectacle propagandiste, le réalisateur donne à son film une portée politique qu’on ne lui attendait pas forcément.
Toutefois, le romantisme du coup de foudre qui unit Viktor à Zula détourne le scénario de ce propos pour se concentrer sur un enjeu unique : leur relation amoureuse dans le cadre de cette période bouleversée et enflammée sur le plan politique. Tandis que la jeune femme fait preuve d’une extrême pudeur et d’un attachement à son pays natal, son bien-aimé Viktor, lui, voudrait au contraire qu’ils s’enfuient vers cet Occident, qu’il rêve terre de liberté bucolique et d’inspiration musicale. Ainsi, on suit le couple à différentes étapes de leur relation, dans des passages trop courts pour développer en profondeur l’évolution de leurs sentiments l’un envers l’autre. Chacune des retrouvailles est néanmoins l’occasion de filmer une scène de bal ou de concert qui forment en fin de compte le véritable vecteur passionnel de la trame.
Paris après l’attentat
L’Ecossais Armando Iannucci présente, dans son film The Death of Staline (la mort de Staline), les années 1950 et la période du révolutionnaire russe le plus célèbre, d’origine géorgienne, Joseph Staline, mais sous une autre vision. Un angle plus intime, peut-être, puisque ce film relate les deux jours suivant l’attaque cérébrale de celui que l’on surnommait le « Père des peuples ». Avec La Mort de Staline, le réalisateur — connu pour son travail dans les séries TV, où il s’est vite imposé pour son amour des satires et des comédies noires — poursuit dans ce film ses obsessions, dans un spectacle où l’absurde côtoie la réalité historique pour mettre en lumière la singularité d’un système politique tel qu’était le cas de l’URSS. Le film a toutefois une résonance bien actuelle dans son étude des jeux de pouvoir. Entouré d’un casting 5 étoiles, Iannucci signe l’une des surprises de cette édition du Panorama.
Parmi les films à dimension politique et historique, citons aussi Young and Alive ... Our Times (l’époque), premier long métrage documentaire de son réalisateur français Matthieu Bareyre, qui a été longuement applaudi par le public du Panorama. Ecrit par Sophia Collet et Matthieu Bareyre, le film plonge au coeur de Paris de l’après-Charlie Hebdo (les attaques terroristes contre le siège et les journalistes de ce journal hebdomadaire suite à la publication de caricatures jugées offensantes à l’islam et au prophète Mohamad), pour une traversée nocturne aux côtés de jeunes qui ne dorment pas pour déclarer franchement leurs rêves, leurs cauchemars, l’ivresse, la douceur, l’ennui et même leurs larmes et leurs désirs. Tournant entre les années 2015 et 2017 — sous les gouvernements français successifs — et en se déplaçant dans le Paris des attentats et des manifestations, le jeune documentariste capte une mosaïque de paroles, de colères et de rêves, dont jaillit une même énergie qui anime la nuit.
« Il fait noir au pays des Lumières », peut-on lire sur un mur dans les événements du film. « L’époque, c’est le son que ça fait quand tu te prends un coup de matraque », dit Rose, une figure solitaire de jeune réfugiée africaine ayant enfin reçu la nationalité française et qui semble veiller sur la place de la République, celle des bougies des attentats et des coeurs inscrits à la craie sur la grande statue. Il faut saluer un magnifique montage d’images, de sons, de paroles, de peurs, de colères et d’espoirs qui se libèrent dans la nuit, excellant à offrir une énergie qu’on sent et qui échappe à toute donnée autre que ce film lui-même.
Le prolétariat moderne sous les projecteurs
La Suisse et la Belgique viennent elles aussi marquer de leur présence l’édition du Panorama de cette année, et ce, via le long métrage Those Who Work (ceux qui travaillent), réalisé par Antoine Russbach. Cette fiction de 102 minutes aborde le thème du prolétariat moderne à travers l’histoire de Frank, un jeune homme qui consacre sa vie au travail. Pour lui, il existe deux parties opposées et incompatibles : ceux qui travaillent et ceux qui, au contraire, ne font que profiter d’un bien-être qu’ils ne méritent pas. L’absence du père, toujours au travail, est, pour ses enfants, compensée par un bien-être matériel de façade et qui fige l’esprit. Alors qu’il doit faire face à une situation de crise, le protagoniste prend une décision irréfléchie et se fait licencier. Agité, trahi par un système auquel il a tout donné, il doit se remettre en question pour sauver le seul lien qui compte encore à ses yeux : celui qu’il a réussi à garder avec sa fille cadette Mathilde. En résumé, un grand nombre d’oeuvres à saluer et de beaux moments cinématographiques qui ne manquent pas d’inviter à la réflexion .
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