Dans un documentaire qui foisonne d’informations sur l’histoire des cafés en Egypte et les interactions avec les différentes périodes sociales et culturelles, Samih Mansy nous offre un panorama rapide, mais néanmoins profond d’une part intrinsèque de nous-mêmes. Al-Maqha Wa Zamano (le café et ses époques) suit, de manière chronologique, la naissance des cafés et leurs raisons vitales d’existence.
Le réalisateur raconte, à travers des témoins et un court commentaire, comment des intellectuels, des créateurs et des hommes politiques ont signé l’histoire culturelle et politique de ce pays à travers les cafés qu’ils fréquentaient et qui sont devenus une part incontournable de notre histoire. Le film a été achevé avant la révolution du 25 janvier 2011, mais ne sort qu’aujourd’hui.
Si le café, à ses débuts, était un lieu où l’on découvrait cette boisson, le café, d’où la tournure « s’asseoir au café » et non « au thé » — comme il aurait été plus normal de le dire, vu la grande consommation de thé dans les moeurs égyptiennes — très vite, il est devenu un lieu social par excellence et, surtout, un lieu de distraction culturelle, où l’on écoutait le rababa ou la Geste hilalienne.
Sans longueurs fastidieuses, Samih Mansy cite les différentes étapes pour essayer de démontrer comment certains cafés célèbres ont épousé tous les moments nationaux de l’Egypte. Depuis la royauté et jusqu’aux Révolutions de 1919 et de 1952, en passant par les Guerres Mondiales et les grands moments de résistance, les cafés s’inscrivent dans ce parcours et participent à ses événements.
Le café Rich, montré dans le film, est l’un des plus célèbres cafés du Caire. Situé près de la place Talaat Harb, non loin de la place Tahrir, les tracts s’y faisaient en secret au moment de la Révolution de 1919, soit au sous-sol de ce lieu, où « chaque pas a un sens » et qui continue d’exister jusqu’à nos jours.
Les murs du café sont tapissés d’une panoplie de photographies des personnalités qui ont fréquenté ce lieu et racontent à leur manière l’histoire de l’Egypte, qui se répète de manière différente, dans d’autres cafés, avec des touches personnelles selon les cafés et leurs clients.
Mais ce n’est pas tout : le café Rich a également été un théâtre, où, en 1923, la grande Oum Kalsoum a chanté. Plus tard, le prix Nobel de littérature, Naguib Mahfouz, s’y rendra tous les vendredis, entourés d’une panoplie de jeunes créateurs, dans les années 1960 du siècle passé.
D’ailleurs, peut-on dissocier Naguib Mahfouz des cafés, dans sa réalité individuelle et dans ses romans ? Ainsi, à travers les noms de cafés variés et fortement symboliques, comme Al-Horréya, Mattatia, Al- Nadwa Al-Saqafiya, Zahret Al- Bostane, Indianna et d’autres, les histoires affluent et racontent des moments fortement ancrés dans la réalité sociale, culturelle et politique de l’Egypte. Des hommes politiques, encore au stade d’étudiants dans les universités égyptiennes, comme Saddam Hussein et d’autres, se rencontrent comme tous les intellectuels sur les terrasses des cafés. D’ailleurs, le café Fichaoui, près d’Al-Azhar, a vu les réunions avec le leader Benbella pour la révolution d’Algérie. Samih Mansy toutefois n’a pas mentionné ce café, préférant sans doute raconter dans la concision et avec la virtuosité d’un maître en la matière, l’histoire d’autres cafés, moins célèbres.
Pas de nostalgie
Toutefois, les cafés ne sont pas uniquement des lieux où on communique, mais sont également utilisés comme des bureaux où l’on rédige un roman, de la poésie ou des articles, comme pour l’écrivain Mekkaoui Saïd, qui écrivait et dirigeait une maison d’édition dans le café Zahret Al-Bostane, près de la place Tahrir. Ou encore le grand peintre Hamed Nada, qui a terminé ses toiles pour une exposition de peinture sur les terrasses d’un café. Les histoires abondent, avec des coups de brosse rapides sur les différents cafés. En privilégiant les incursions courtes, Samih Mansy réveille en nous la soif d’aller plus loin dans notre promenade. Il prend pour porte-parole des amoureux des cafés. Cependant, certains des protagonistes les plus célèbres ne sont plus de ce monde. D’ailleurs, Samih Mansy termine son film sur une note triste, en nous laissant voir la disparition de certains cafés historiques, métamorphosés en des endroits où l’on consomme du fast-food à l’américaine.
Pourtant, ce documentaire ne constitue pas un film qui nous rend nostalgique en nous ramenant à ces moments de gloire où le politique, le culturel et le social étaient intrinsèquement liés, mais au contraire, nous donne envie de perpétrer l’histoire nouvelle des cafés. Comme à l’occasion de la révolution du 25 janvier 2011, où beaucoup de rencontres ont eu lieu dans les cafés du centre-ville comme Zahret Al-Bostane et le café Rich, ou à travers la création de nouveaux lieux qui raconteront également leur histoire.
Même s’il ne le dit pas explicitement, Samih Mansy montre que les cafés en Egypte ont ce privilège de se renouveler sans cesse, car ils répondent à un besoin vital .
Projection le 25 octobre, à 19h, à l’Académie Badrakhan pour la culture et les arts, 21 rue Mohieddine Aboul- Ezz.
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