Al-Ahram Hebdo : Pouvez-vous nous retracer vos débuts à l’opéra ? Et pourquoi vous ne vous êtes pas orientée vers le chant oriental ?
Névine Allouba : J’écoutais davantage la musique occidentale. Je n’ai aimé Oum Kalsoum et Abdel-Halim Hafez qu’à l’âge de 17 ans. J’étais impressionnée par la posture de Oum Kalsoum sur scène, sa puissante voix et ses longues chansons. En même temps, j’ai éprouvé une passion pour le théâtre et le jeu. Dans la famille, devenir actrice était catégoriquement refusé. La seule voie qui se présentait à moi était l’opéra.
— Vous penchiez pour le théâtre musical et l’opéra plus que pour le piano ?
— J’ai terminé mes études au Conservatoire alors que je n’avais que 20 ans. Durant cette période, j’ai beaucoup travaillé ma voix. Mais je me suis arrêtée et je suis partie en Allemagne pour une bourse d’études. Je me souviens que Dr Samha Al-Khouli, la doyenne du Conservatoire à cette époque, a appelé son homologue au Conservatoire de Hanover pour lui conseiller d’écouter ma voix. Effectivement, les professeurs là-bas ont découvert que ma voix était différente. J’ai alors étudié le chant pendant trois mois après avoir passé les examens d’admission. Je faisais 8 heures de piano par jour dans le cadre de mes études supérieures parallèlement à mes exercices de voix et de chant comme étudiante universitaire ordinaire. C’était très difficile pour moi. En rejoignant la section chant, mes heures de piano ont été limitées. J’ai alors choisi le chant d’opéra vu ma passion pour le théâtre. Cependant, mon étude du piano m’a conféré une vision différente et profonde dans mon travail sur scène. Je suis devenue capable de jouer n’importe quel morceau avant de commencer à le chanter. Généralement, les musiciens sont convaincus qu’ils comprennent plus que le chanteur, car ce dernier ne sait que chanter. Le musicien apprend la musique à partir de 4 ans. Le chanteur ne peut commencer qu’après la puberté.
— La troupe Fabrica soutient l’entraînement des jeunes talents parmi les étudiants des écoles et des universités. Pouvez-vous nous en parler ?
— L’idée de la fondation de cette troupe a émané de l’idée que personne ne s’intéresse aux jeunes talents. Je me souviens que Ratiba Al-Hefni m’a invitée à chanter à l’inauguration du nouvel Opéra du Caire alors que j’étais en Allemagne et a essayé de me convaincre de la nécessité de revenir en Egypte, me disant qu’on commençait en Egypte à accorder un certain intérêt au chant d’opéra. En effet, on commençait à former des troupes à l’Opéra égyptien loin de celles créées par le ministère de la Culture. Sobhi Bédeir, Raouf Zidane et moi avons été surpris par la formation d’une troupe de chant d’opéra. Pendant dix ans, nous avons témoigné d’un grand intérêt pour ce genre de chant à l’époque de Ratiba Al-Hefni et Nasser Al-Ansari. Nous avons présenté des spectacles partout en Egypte. J’ai également commencé à enseigner le piano et le chant à l’académie avec le soutien de Fawzi Fahmi. Après 20 ans d’enseignement, j’ai découvert que les jeunes diplômés ne trouvaient pas de place où aller. J’ai alors proposé la création du « studio de l’Opéra » pour présenter plus d’entraînement sur le chant et le jeu sur scène. Mais personne ne s’est montré enthousiaste à l’idée. En fait, le théâtre musical a quasiment disparu après Nelly et Chérihane. C’est pourquoi Mohamad Aboul-Kheir, metteur en scène d’opéra, et moi avons eu l’idée de former une entité qui assimile ces jeunes. Nous avons commencé à travailler avant 2011 avec la participation de Sara Anane, professeure de littérature anglaise. Nous avons beaucoup travaillé avec Sayed Hégab et avons présenté les livrets Miramar de Naguib Mahfouz et Al-Salamate de Youssef Al-Sébaï. Nous avons également arabisé des opéras allemands. Nous avons présenté des spectacles réussis à la Bibliotheca Alexandrina. Puis est survenue la révolution du 25 janvier. Nous avons alors suspendu nos activités à cause des troubles politiques. A cette époque, j’ai commencé à enseigner le chant à l’Université américaine où la musique est devenue une matière essentielle. Parmi la première promotion figurait Nasma Mahgoub, dont le projet de diplôme portait sur l’égyptianisation du roman Les Misérables avec Sara Anani. C’était là la première apparition de la troupe Fabrica.
— Quelles sont les principales caractéristiques de la cantatrice ?
— Il faut que la nature même de la voix soit belle. C’est l’entraînement qui confère à la voix sa force. Cependant, l’entraînement a besoin de persévérance, de volonté et d’intelligence. La cantatrice doit aussi avoir des oreilles musicales et doit savoir interpréter la composition telle qu’elle est. Mes étudiants ne sont peut-être pas les meilleures voix, mais ils sont intelligents. C’est pourquoi je suis certaine qu’ils réussiront.
— Quels sont vos rêves pour la troupe Fabrica ?
— Je rêve est que la troupe possède un théâtre et un siège permanent pour entraîner les juniors. De plus, la troupe a besoin d’un soutien, que ce soit de la part de l’Etat ou du secteur privé, pour pouvoir continuer à présenter ses spectacles. Ceci pourrait créer une sorte de stabilité qui nous permettra de présenter davantage d’oeuvres. En effet, le déplacement permanent de la troupe d’un endroit à un autre est très fatigant. Fabrica a commencé avec 15 chanteurs, mais le nombre se multiplie.
— Quelle est la réaction du public vis-à-vis les spectacles de Fabrica ?
— Le public de Fabrica augmente. Notre apparition au festival du cinéma de Gouna l’année dernière a été retentissante. Le public et notamment les étrangers ne s’imaginait pas que l’Egypte possède de telles capacités artistiques aptes de chanter dans les deux langues, l’arabe et l’anglais. Fabrica est maintenant célèbre en tant que troupe.
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