Côte à côte avec les grands noms de la peinture et de la sculpture, les galeries Khan Maghrabi et SafarKhan à Zamalek nous font découvrir d’autres nouveaux talents, jusqu’à la fin de la saison d’été. « Les talents sélectionnés obéissent à un choix très minutieux, après des recherches constantes tout au long de l’année aux quatre coins de l’Egypte. La galerie Safar Khan mise énormément sur les expositions collectives, afin de révéler des jeunes talents et de leur prêter conseil, jusqu’à ce qu’ils se fassent une place dans la société », déclare Chirouette Chafeï, propriétaire de la galerie.
Et d’ajouter : « C’est ce qui peut mener à la réussite d’une galerie et à sa survie. Peu importe l’âge ».
Karim Abdel-Malak, un habitué de la galerie Safar Khan.
Au premier étage, Safar Khan expose les oeuvres de l’un de ses artistes habituels : Karim Abdel-Malak. Adopté par la galerie, il y a présenté sa première exposition en solo en 2016, sous le titre de Roh (âme). Il aime peindre des femmes libres et vivantes, en grands formats. Elles se dressent sur des toiles en acrylique, laissant voir une grande sensibilité.
Yousra Hafad, lauréate du Prix de la peinture de l’ambassade de Belgique en Egypte, à la 4e édition du Salon du Sud, aborde le même sujet dans sa peinture Méditation, exposée au 2e étage. Née à Louqsor et diplômée de la faculté de pédagogie artistique en 2001, l’artiste excelle à montrer le corps de la femme en toute pudeur et dans un contexte dramatique. Elle met l’accent sur la condition sociale de la femme, notamment celles vivant en Haute-Egypte. A l’aide d’une touche expressionniste figurative extrêmement douce, elle affirme l’émancipation de toutes ses protagonistes-femmes, qu’elle place sur les rangs des divinités. Sveltes, bien dressées, elles ont une allure pharaonique. Cependant, elles sont modernes, dans un cadre classique. Le contraste sert à rompre avec le cliché des femmes soumises du sud.
Enveloppée d’une étoffe blanche, elle a la liberté d’agir et de prendre ses aises, tout en restant sereines. Hafad n’omet pas de poétiser l’environnement qui entoure ces femmes, ainsi que leurs états d’âme. L’artiste l’affirme sur sa page Facebook : « La quiétude et le bien-être invite au questionnement, à l’évasion et à la rêverie. La femme forte de caractère, préservant sa féminité, m’inspire énormément ».
Et si le Nil disparaissait ?
Raghda Al-Chanawani : deux hommes en attente.
Plus loin, expose son époux, l’artiste Waël Nour, un maître des aquarelles, lui aussi originaire de Louqsor. Il est influencé par les fameux maîtres de l’aquarelle : Bekhit Farrag, Chafiq Rizq et Habib Gorgi. Nour expose plus à Louqsor qu’au Caire. Il est envoûté par sa ville natale et mythique, ses paysages naturels, ses maisons campagnardes et ses monuments pharaoniques. Il a recours au contraste ombres-lumières, mêlant présent et passé, dans une spontanéité bien calculée. Il déclare dans l’un de ses entrevues publiées au journal Al-Charq Al-Awsat, en 2017, à l’occasion de son exposition Al-Barr Al-Talet (la troisième rive) : « Je crains un jour d’ouvrir les yeux et de ne trouver aucun coin vert sur la terre. La verdure est constamment remplacée par des blocs de ciment. J’essaye d’arrêter le temps dans mes toiles afin de capter la beauté des champs égyptiens, des maisons d’argile et du Nil superbe ; j’ai peur de les voir un jour disparaître ». Contrairement aux traits fins de l’aquarelle, surviennent les couleurs criardes et les lignes chaotiques de Ghaydaa Ahmad et de Salah Boutros. Nouvellement diplômée des beaux-arts d’Alexandrie, Ghaydaa, dans la vingtaine, est complètement envoûtée par l’abstraction. Elle a vite développé un style et une technique qui lui sont propres, presque inclassables.
Sa peinture, aux lignes denses et irrationnelles, met en relief la ville et interroge le monde en toute sa laideur. Salah Boutros est surnommé l’artiste des monastères. Des monastères aux couleurs phosphorescentes et aux lignes abstraites. Loin des couleurs poussiéreuses et boueuses du désert, il attribue à un sujet austère une grande vivacité, moyennant des couleurs. Ce ne sont plus des bâtiments vétustes et sacrés, mais ses monastères appartiennent aux temps modernes. « Je définis l’art de Salah Boutros comme de l’architecture organique ou l’architecture environnementale. Son art me rappelle les maisons du fameux Hassan Fathi. Les peintures de Salah Boutros en petits formats ont été vendues ; elles ne sont pas chères et faciles à écouler. Nous essayons, par le biais de ce genre d’expositions, de développer un marché d’art contemporain, pas trop cher, mais toujours de qualité, face à la crise », déclare Chafeï.
Le scout des talents
Modèle classique de Nora Seif.
Il en est de même pour la galerie Khan Maghrabi qui, depuis sa fondation, a adopté des jeunes artistes, encore à leurs débuts.
Salwa Maghrabi, la propriétaire de la galerie Khan Maghrabi, expose par exemple des toiles du jeune peintre, Walid Jahine, décrivant ses voyages de par le monde, en Turquie, à Athènes, au Japon, en Corée, etc. Les relations humaines priment sur les toiles, à l’aide d’une palette riche en couleurs. Les lignes en pointillé traduisent le temps qui coule, d’un voyage à l’autre. « C’est par pure coïncide que j’ai découvert l’art de Mohamad Aboul-Naga, sur sa page Facebook. Il dépeint des scènes de récolte, des champs de blé, en matériaux mixtes. J’ai dit que ces oeuvres méritaient d’être exposées », indique Salwa Al-Maghrabi, qui a décidé de lui consacrer prochainement une exposition en solo.
Raghda Al-Chanawani, laquelle vient de recevoir le prix offert par l’Association égyptienne des amateurs de l’art, participe à la même exposition en cours avec une peinture grand format, mettant en relief l’état d’attente et le refus du suspens. Deux gros corps sans têtes sont assis sur un quai ; ils ont l’air fatigués et épuisés.
L’agencement du tableau et les couleurs sobres laissent deviner le dialogue qui a eu lieu entre les deux personnages de Chanawani.
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Vive le Soudan
L’un des voyages de Walid Jahine.
L’art soudanais est représenté par le travail de la jeune artiste Amal Béchir qui réside en Egypte depuis un an. Ses miniatures se caractérisent par un monde pluriculturel à l’image de son pays. « L’art des miniatures nous fait voir la vie différemment, sous un angle inattendu. Il est capable de réveiller notre âme d’enfant et de nous inciter à prêter attention à ce qui nous entoure », accentue Maghrabi.
Quant à la jeune égyptienne Nora Seif, elle reprend les critères de la beauté d’autrefois. Son modèle classique féminin en blanc et bleu s’éloigne des codes d’aujourd’hui. « Les postures à l’ancienne mêlées aux cadres plus contemporains revêtent une nouvelle identité », commente Salwa Al-Maghrabi, très contente de sa sélection de jeunes artistes.
Galerie Khan Maghrabi (18, rue Al-Mansour Mohamad, Zamalek), jusqu’au 6 septembre (sauf le vendredi). Et galerie Safar Khan (6, rue Brésil, Zamalek), jusqu’au 10 septembre (sauf le dimanche). De 10h à 21h.
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