(Photo : Bassam Al-Zoghby)
Des corps de femmes, des formes abstraites souples et arrondies, de petits blocs qui laissent dévoiler une certaine sensualité … C’est ainsi que douze jeunes femmes parlent d’elles-mêmes dans l’exposition Douze âmes, à la galerie Al-Magdoub, à Zamalek. Les jeunes sculptrices ont choisi de s’exprimer librement. Elles défendent leur statut de femme, leur fragilité, leur force et leur humanité à travers des oeuvres de petite taille en bronze, en bois et en marbre.
Les artistes traduisent les aspirations de plusieurs autres femmes qui, comme elles, se sont insurgées contre les tabous sociaux. Et ce, en focalisant sur le corps féminin. « Les deux dernières années, plusieurs jeunes sculptrices se sont fait remarquer. J’ai voulu mettre leur travail en évidence et les encourager à poursuivre leur parcours par le biais de cette exposition », explique Akram Al-Magdoub, architecte, commissaire de l’exposition et directeur de la galerie. Vers le début des années 2000, faute de matériaux et de moyens, les facultés des beaux-arts étaient sur le point de fermer les sections « sculpture ». Peu d’étudiants y entraient, préférant la section graphique et illustration, qui leur garantissait de meilleurs débouchés par la suite. « A l’époque, la sculpture était une discipline artistique que certains, par conviction religieuse, ou plutôt islamiste, jugeaient illicite. On la considérait également comme un art masculin, qui exige beaucoup de force physique pour travailler la pierre, à titre d’exemple », souligne Al- Magdoub.
La sculptrice alexandrine Ola Moussa affirme pour sa part que les jeunes sculptrices d’aujourd’hui ont décidé de se révolter contre ces préjugés. Elles ont le courage de s’exprimer par l’intermédiaire de la sculpture. « Je me rappelle qu’aux beaux-arts d’Alexandrie, section sculpture, nous n’étions que trois filles et dix garçons. Cela reflétait la situation dans le temps. Mais aujourd’hui, avec le développement technologique, le recours aux machines de sculpture et l’évolution de la société, les jeunes filles vont plus loin et font ce qu’elles veulent. La vision traditionnelle vis-à-vis de la sculpture a changé », assure-t-elle. En fait, les éditions annuelles du Symposium de la sculpture à Assouan sont le reflet de cette évolution. Le symposium, qui a commencé vers la fin des années 1990, a vu s’accroître le nombre de sculptrices égyptiennes qui y participent. « Le Symposium d’Assouan a réformé le paysage de l’art sculpté en Egypte ; il a donné vie à de nouvelles générations plus jeunes et enthousiastes. Certains sont devenus professeurs dans les diverses facultés artistiques et ont aidé à initier d’autres à la sculpture. La plupart des artistesfemmes de l’exposition en cours sont fraîchement diplômées. Plusieurs d’entre elles sont passées par l’expérience du symposium, ayant taillé la pierre en pleine nature », poursuit Al- Magdoub.
Oser s’exposer
La fougue de la jeunesse se fait sentir à travers les oeuvres de l’exposition. Rebelles, les artistes cherchent à s’affirmer en ayant recours à des techniques, des matériaux et des sujets très variés. Souvent, la femme fait office d’idole, de modèle à suivre ou d’être adulé. Le corps féminin revient inlassablement, revêtant parfois des formes abstraites et reflétant les différents états d’âme des sculptrices. Des duos, des torses nus en bois ou en marbre, c’est ainsi qu’Esraa Hatem et Menna Askandrany conçoivent le corps féminin, avec ses rondeurs et ses courbes. Celles-ci ne sont pas dénudées de sensualité et nous font redécouvrir la beauté du corps féminin et l’équilibre de ses proportions. « Tout sculpteur se taille luimême », dit-on. La posture du corps féminin sculptée reflète la spécificité de chaque sculptrice. Ainsi, on découvre la fragilité et la finesse des corps allongés en bronze de Lina Al-Magdoub. Les personnages de Chorouk Hélal se dressent, quant à eux, comme dans un conte de fées. Reem Ossama met en scène la causerie entre trois villageoises. Et Rania Chaalan nous parle surtout d’amour. Ola Moussa et Chaïmaa Darwich jouent, elles, avec l’espace et les formes volumineuses des sculptures malgré leur petite taille. Darwich évoque en outre l’amitié entre deux jeunes filles : l’une grosse et habillée d’une robe large et l’autre plus mince et penchée en avant. Ola Moussa le dit ouvertement : « Je m’exprime par mes oeuvres ». Ainsi, elle taille le portrait d’une femme dont les yeux sont rivés vers le ciel, scrutant son avenir avec ambition. Et une femme enceinte montre fièrement son ventre gonflé.
Des gamines qui jouent
Thérèse Antoine associe l’abstraction et les formes géométriques aux corps de deux femmes allongées côte à côte. Les pieds en l’air, elles sont en train de jouer comme des enfants. La sculpture abonde de vie. Alaa Yéhia met en relation trois sculptures en bronze, où les corps féminins ont l’allure de gazelles. Ces trois sculptures révèlent une fragilité et une beauté bien réelle. L’ensemble fait parler des femmes fines et fragiles, mais puissantes. Marwa Naguib et Samar Magdi optent, quant à elles, pour un style plus abstrait et cherchent à créer un équilibre entre les diverses parties de la sculpture, s’inspirant des organes du corps féminin. En bref, l’exposition annonce le parcours prometteur de douze jeunes sculptrices, encore à leurs débuts. Elles osent puiser dans les formes de leurs corps et dans leurs petites histoires pour en dire long sur la société contemporaine .
Douze âmes, exposition collective, jusqu’au 14 juin, tous les jours de 12h à 16h et de 20h à 24h, à la galerie Al-Magdoub, rue Ismaïl Mohamad, Zamalek.
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