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Le tarbouche, version contemporaine

Névine Lameï, Lundi, 28 mai 2018

Dans un style pop, l’artiste italien Qarm Qart réinvente les tarbouches, cet élément autrefois caractéristique de la tenue traditionnelle des Egyptiens et symbole de la société patriarcale. Il s’inspire notamment de la trilogie de Naguib Mahfouz.

Le tarbouche, version contemporaine
Deux tarbouches inspirés de la trilogie de Naguib Mahfouz.

A la galerie Machrabiya, l’artiste italien Qarm Qart (Carmine Cartolano) a choisi, pour sa nouvelle exposition, le titre de Qarbouch, échos à l’oeuvre de Naguib Mahfouz. Il a opté pour un jeu de mots contractant les deux premières lettres de son nom (Qa) et le mot tarbouche, nom d’un couvre-chef rigide masculin en feutre ou en laine rouge, en forme de cône tronqué, d’usage autrefois en Egypte.

Ses installations originales mettent en relief 30 tarbouches, suspendus par des ficelles en plastique au plafond de la galerie. Chaque tarbouche est travaillé minutieusement avec du fil à broder ou des collages (papiers, boutons, jouets d’enfants en plastique ou autres). L’artiste s’est inspiré de la célèbre trilogie de Naguib Mahfouz, notamment de l’Impasse des deux palais. Chaque tarbouche porte endessous un extrait du texte initial de Mahfouz. « Comme je suis plasticien et enseignant au département de la langue italienne à la faculté des lettres de l’Université de Hélouan, j’ai voulu lier les arts plastiques à la littérature. Et ce, en ayant recours à la trilogie de Mahfouz, évoquant le parcours d’une famille de la petite bourgeoisie cairote. Le tarbouche est un symbole d’identité », indique Qarm Qart. Et d’ajouter : « Le tarbouche est le miroir de la société patriarcale des années 1917 à 1944. J’ai voulu revivifier la tradition du tarbouche que portaient les protagonistes de la trilogie, pour dire que l’Egypte n’a pas beaucoup changé. C’est vrai qu’on ne porte plus le tarbouche, mais nous vivons sous la même hégémonie masculine, toujours à la recherche du pain, de la liberté et de la justice sociale ».

Pain et liberté

Le tarbouche d’autrefois conférait élégance et fierté à celui qui le portait. L’artiste en présente une version plus contemporaine, parfois kitsch. A l’aide d’un fil, il brode dessus « pain et liberté ». Sur un autre, il brode un pistolet ou une mitraillette. Sur un troisième, il cisèle « Révolution ». « Ce sont les revendications scandées durant la révolution de 2011. Le pistolet représente la voix juvénile de la lutte pour l’indépendance du pays, comme dans la trilogie de Mahfouz », précise Qart, dont l’oeuvre est souvent marquée d’ironie sociale. Sur un autre tarbouche, Qart a cousu l’image du leader de la révolution de 1919, Saad Zaghloul, avec à côté le mot « Liberté », orné d’une plume. « Le nom de Saad Zaghloul revient inlassablement dans les conversations en famille de la trilogie, où le père, commerçant, incarne l’idée du patriarcat. La plume est symbole de clairvoyance et de sagesse. Les tarbouches que je confectionne mêlent passé et présent, aspirant au changement », poursuit l’artiste.

A chaque nouvelle lecture de la trilogie, Qart a imaginé de manière différente la création d’un tarbouche. L’hégémonie masculine est toujours présente dans l’exposition. De nombreux boutons en couleur prennent la forme de moustaches liées les unes aux autres. « La moustache est synonyme de masculinité. Par ailleurs, la répétition d’un même motif met en relief la monotonie de la vie et l’insolence du quotidien », lance Qart, qui a attaché à l’un de ses tarbouches des boutons noirs et blancs pour faire allusion à la femme qui regarde tout ce qui passe autour d’elle avec de grands yeux ronds. « La femme, dans la trilogie de Mahfouz, est soumise, toujours en train de regarder le monde extérieur derrière le grillage des moucharabiehs. Les yeux dans mes installations symbolisent le regard de la femme derrière le moucharabieh », explique Qart. L’artiste a collecté les accessoires utilisés dans les vieux marchés populaires cairotes, notamment celui de la ruelle Al-Mézayenne, entre la place Ataba et le Khan Al-Khalili. « Je suis un artiste vagabond, à l’instar de Naguib Mahfouz, qui a passé de longues heures à écrire ses romans et à flâner dans le café d’Al-Fichawi, au Khan Al-Khalili. J’ai voulu acheter les divers accessoires dans les mêmes rues où se promenait Mahfouz », conclut Qart .

A la galerie Machrabiya, jusqu’au 21 juin, de 10h à 17h et de 20h à 22h (sauf le vendredi).

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