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Les films arabes attirent tous les regards à Cannes

Yasser Moheb, Lundi, 14 mai 2018

Bien présent lors de cette 71e édition du Festival de Cannes, le cinéma arabe réussit à attirer l’attention grâce à plusieurs films. Coup de projecteur sur ces oeuvres un brin rebelles et qui osent sortir des sentiers battus.

Les films arabes attirent tous les regards à Cannes

Le 71e Festival de Cannes a commencé son rallye cinématographique, marqué cette année par une forte présence arabe. Premier film égyptien en compétition à Cannes depuis Baad Al-Mawqea (après la bataille) de Yousri Nasrallah en 2012, Youmeddine (le jour du jugement dernier), le premier film du réalisateur égyptien Abou-Bakr Chawky, 33 ans, a été merveilleusement accueilli sur la Croisette.

Sélectionné parmi les films de la Compétition officielle, c’était l’un des triés les plus inattendus pour les poids lourds du festival, car le jeune cinéaste, encore à ses débuts, est bien loin des habitués de la Croisette. Mais ce sentiment de surprise s’est vite estompé une fois que le film a été projeté, pour faire place à l’enthousiasme. Même si le sujet ne paraissait, de prime abord, ni assez universel, ni assez cannois, le film n’est pas sans rappeler Le huitième jour de Jaco Van Dormael, avec Daniel Auteuil et Pascal Duquenne. Car il se situe dans le même registre de comédie dramatique sur les marginaux malgré eux.

Youmedinne s’intéresse aux parias de la société égyptienne, surtout aux lépreux. Il raconte l’histoire de Bichay, joué avec brio par Radi Gamal, un acteur non professionnel souffrant lui-même de la lèpre. L’ancien lépreux, qui porte sur son corps les stigmates de sa maladie, va à la rencontre de l’humanité dans un road-movie à deux, avec Obama — joué avec grande crédibilité par le jeune Ahmad, lui-aussi non professionnel. Ce dernier est le gamin casse-cou, mobile dans l’exil et paria de par ses origines. Les deux personnages ont un point commun: ils ont été abandonnés dans leur enfance.

On doute d’abord de leur amitié, du fait de leurs âges ainsi que de leur différence physique. Toutefois, Youmeddine se sert de cette relation pour s’aventurer sur le terrain de l’amitié, puisque les deux camarades vont voyager à travers l’Egypte jusqu’à ce que Bichay retrouve sa famille. Et comme le veut le genre, ils se découvrent à la fois mutuellement et, chacun, intérieurement. Mais ce qui fait la spécialité du film, c’est qu’il ne vise aucune démesure, malgré les grands espaces que les deux héros parcourent. Le réalisateur Abou-Bakr Chawky s’en tient à une forme de modestie dans sa mise en scène, pour ne pas gâcher son sujet et pour offrir l’un des vrais coups de coeur à cette 71e édition du festival. Dans l’attente du Palmarès? Peut-être.

Métaphore pour tout un peuple

Un autre premier film à l’encens arabe et qui a secoué les locaux du festival est Mon tissu préféré de Gaya Jiji, projeté dans la sélection Un Certain regard et en lice, certes, pour la Caméra d’or, décernée à une première oeuvre. Malgré sa nationalité franco-germano-turque, ce film a été considéré arabe de par son sujet, sa langue et ses acteurs.

L’histoire de Mon tissu préféré débute à Damas au mois de mars 2011, lorsque le printemps arabe commence à gronder. Nahla, une jeune femme de 25 ans magistralement jouée par Manal Issa, est tiraillée entre son désir de liberté et l’espoir de quitter le pays grâce au mariage arrangé avec Samir, un Syrien expatrié aux Etats-Unis. Mais Samir lui préfère sa jeune soeur Myriam, moins sexy mais plus docile. Nahla se rapproche alors de sa nouvelle voisine, Madame Jiji, qui vient d’arriver dans l’immeuble pour ouvrir une maison close. C’est là où la jeune Nahla vit ses fantasmes et va à la rencontre de ses rêves, difficiles, intimes et compliqués. Un état d’âme personnel qui en exprime un autre, plus général, à travers un style intelligent et en abordant les thématiques politiques et sociales d’un peuple qui ne cesse de souffrir en attendant le salut.

Ce premier film de la réalisatrice syrienne Gaya Jiji est une belle surprise. Situé sur fond de guerre civile en Syrie, présentée par quelques images et sons d’archives, le tournage a eu lieu en Turquie, situation actuelle en Syrie oblige. L’oeuvre excelle à nous raconter une histoire de famille, traitée en huis clos intimiste. L’éveil de Nahla à la sensualité et à la liberté amoureuse passe dans le film par des détours assez ahurissants, comme une métaphore pour tout un peuple, à toute une patrie. Eprise de liberté, la protagoniste se retrouve le miroir de la situation de son pays : à chaque instant, la frontière entre la fiction et l’autobiographie semble se brouiller. Le bruit des bombes, la voix de Bachar Al-Assad, les maux, l’espoir et les doutes de la population se mêlent parfaitement et subtilement à ce récit inédit. On regrette parfois la multiplication des histoires parallèles qui nous perdent, mais elles prennent toutes le même trajet pour aboutir au même point dramatique, voire idéologique.

Dès les premiers jours de ce 71e crû cannois, la compétition bat son plein, mettant notamment le cap à l’est. Après un accueil chaleureux pour le film russe Leto (l’été), c’était au tour du film polonais Zimna Wojna (guerre froide), réalisé par Pawel Pawlikowski, de nous offrir l’un des beaux cadeaux de ces premiers jours de la manifestation. Déjà auteur du beau film Ida, Oscar du meilleur film étranger en 2015, Pawlikowski risque bien de faire parler de lui de nouveau avec ce nouvel opus, tant ses qualités paraissent indéniables.

A l’instar de plusieurs grands films plongeant dans le temps, l’oeuvre présentée, en noir et blanc— ce qui souligne le caractère intemporel de la passion en général, présente la Pologne des années 1950. Alors que le parti communiste impose de plus en plus sa main de fer, Wiktor — joué avec profondeur par Tomasz Kotest— est chargé de créer un ensemble musical dédié à la gloire du pays. Lors des auditions, il tombe sous le charme de la jeune Zula, une chanteuse à la voix cristalline, interprétée magistralement par la belle Joanna Kulig. Mais rien n’est simple de ce côté du rideau de fer.

Avec une délicatesse infinie, Pawlikowski sonde les âmes et surtout les coeurs de ses deux amants damnés, puisqu’ils vont être broyés par un système qui impose sa volonté à tous ceux qu’il domine. Mais quand la vigueur des sentiments se trouve balayée par le vent de la politique, le choc entre ces deux mondes est merveilleusement bien présenté à l’écran, allant jusqu’à arracher les coeurs des spectateurs.

Des plaines enneigées de Pologne à Paris, en passant par Berlin et la Yougoslavie, l’histoire de Wiktor et de Zula nous emmène dans maints soubresauts pour offrir l’une des plus belles romances de cette compétition officielle jusqu’alors. Des prix d’interprétation ne sont pas à exclure.

De par ses différentes sélections et son look thématique et artistique, le Festival de Cannes semble réserver encore bien des surprises à ses festivaliers lors de sa seconde semaine .

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