L’exposition générale c’est 274 peintres, vidéastes, photographes, sculpteurs et autres créateurs réunis sous le slogan de la 35e édition : Réalité et espoir.
Les oeuvres des jeunes artistes côtoient celles des grands noms de l’art contemporain. La disposition et la répartition des oeuvres témoignent de l’effort du commissaire de l’exposition, Mohamed Al-Tarawi, et du comité de sélection présidé par Hamdi Abdallah. Chacune des salles du Palais des arts dévoile un petit panorama de l’art contemporain égyptien, toutes disciplines confondues.
Pourtant, plusieurs artistes ne cherchent guère à surprendre, leurs oeuvres ne faisant qu’affirmer leurs styles. Les grands noms poursuivent leurs démarches habituelles. Et les plus jeunes se lancent dans une voie postmoderne. En gros, l’exposition est à l’image de la société : conservatrice et moderne à la fois. Les oeuvres oscillent entre le traditionnel et l’extravagant.
L’image de l’Egypte folklorique, festive et nostalgique est largement reprise dans les oeuvres de Farghali Abdel-Hafiz, Omar Abdel-Zaher, Helmi Al-Touni, Achraf Réda et autres. Les motifs folkloriques dominent toujours leurs tableaux : l’Egypte populaire. Abdel-Hafiz reprend dans des formes circulaires bien marquées une scène de foire populaire. Son tableau abonde de vie et de mouvements : derviches tourneurs, enfants jouant dans la rue …
Omar Abdel-Zaher reprend non seulement des motifs folkloriques mais aussi des proverbes populaires, relatifs au mauvais oeil. Ses couleurs criardes témoignent d’histoires et de mythes encore vivants.
L’art de la sira (geste hilalienne) avec ses images iconiques populaires est repris par Achraf Réda. Inspiré des Robaïyate (quatrains) de Salah Jahine, il crée de petites scènes dans des cadres positionnés comme une mini-bande dessinée.
Hend Adnan, comme d’habitude, travaille sur le corps féminin et dépeint dans deux tableaux une jeune brune allongée sur son lit. Les détails du corps révèlent les traits physiques particuliers d’une femme égyptienne. Ayman Al-Semari dévoile, pour sa part, deux tableaux abstraits.
Influencé directement par la révolution, Ezzeddine Naguib évoque dans sa peinture les snipers qui ont tiré sur les manifestants pendant la révolution.
Les jeunes, la révolution
Les plus jeunes s’intéressent aussi à la révolution mais plutôt au quotidien et aux disciplines postmodernes. Ils s’aventurent en manipulant les installations vidéo, la photographie, mais sans grande originalité.
Ayman Lotfi dénonce la présence des Frères musulmans et leur politique. Son installation vidéo n’est que le message direct de cette dénonciation. Il filme un homme se reposant contre un mur planté de clous. A chaque instant, de l’autre côté du mur, un passant enfonce un clou. Le pauvre homme finit par saigner. Vers la fin de la vidéo, un petit mouton caricatural fait son apparition en allusion aux Frères musulmans (largement désignés par la population comme un troupeau de moutons).
Le chemin de fer égyptien est une installation choquante portant la signature de Mohamed et Zeinab Sayed Aboud. Une sirène annonce l’arrivée d’un train, puis des cadavres gisent par terre recouverts de linges blancs. Il s’agit ici de condamner les accidents ferroviaires, fréquents en Egypte.
Abdel-Salam Salem évoque, lui, la notion de la nationalité et de l’identité égyptienne. Il reprend les images de visages égyptiens et les dessine sur des boîtes implantées dans un mur, coloré aux trois couleurs du drapeau égyptien. Sur la vidéo, chaque visage est marqué par le sceau de l’Egypte. Quant aux espoirs, ils se font — chez les jeunes au moins — plutôt discrets.
Tableaux de l’ancien régime
Une peinture abstraite signée Farouk Hosni est présentée à cette 35e édition. Une oeuvre qui date de 2011 et qui faisait partie de sa dernière exposition à la galerie Ofoq. Rejetant les couleurs criardes, la peinture est dominée par des couleurs ternes et des tons grisâtres … Le mouvement et les taches de couleurs confirment le style de Hosni. Un tout petit peu d’orange donne une lueur d’espoir.
La présence de cette oeuvre à la 35e édition de l’Exposition générale constitue pour d’aucuns une preuve de l’objectivité du comité de sélection, affirmant que seuls les critères artistiques sont de mise.
Pourtant, elle provoque un rejet discret de certains artistes, refusant la participation de l’ancien ministre de la Culture. « Il faut préciser que Farouk Hosni participe à l’Exposition générale en tant qu’artiste, peintre et membre du syndicat des Plasticiens », souligne Adel Sarwat, membre du comité de sélection. « En tant que comité de sélection, nous jugeons avec objectivité les oeuvres soumises. Pour nous, Hosni est un peintre comme les autres qui a déposé un formulaire complet et a respecté le calendrier. Son oeuvre répond aux critères requis et donc on ne peut pas rejeter sa candidature ».
C’est aussi le cas de l’ancien directeur du secteur des arts plastiques, Mohsen Chaalan. C’est lui qui a servi de bouc émissaire dans l’affaire du vol du tableau de Van Gogh, au Musée Mahmoud Khalil il y a 3 ans. Chaalan a été accusé de négligence et a passé un an en prison. Cette année, il a été admis à l’Exposition générale avec une oeuvre à l’encre de chine représentant un couple. Bien que le comité de sélection, présidé par Hamdi Abdallah, se veuille objectif, il n’a pas fait le bonheur de tout le monde. Sa réponse aux critiques : « On ne peut nier que parmi les responsables ou les gens proches de l’ancien régime, il y avait des créateurs et des artistes ».
Unis contre l’autoritarisme

Al-Méligui et Al-Tarawi lors du vernissage de l’Exposition générale.
Finalement le vernissage de la 35e édition de l’Exposition générale a bien eu lieu. Chose dont personne n’était sûr jusqu’à la dernière minute. Mais les colloques et les ateliers qui devaient se dérouler en marge de l’événement ont été suspendus.
Une semaine avant le vernissage, la tension se sentait déjà. Le nouveau ministre de la Culture a reçu des plaintes de la part de certains artistes, exclus ou non admis à l’Exposition générale. Ils accusaient le commissaire, Mohamed Al-Tarawi, et le comité de sélection, de corruption. Car soi-disant ils ont admis 31 oeuvres, dans un deuxième tour de sélection. Le nouveau ministre de la Culture, Alaa Abdel-Aziz, très contesté par les intellectuels, a voulu suspendre le vernissage et ouvrir une enquête pour interroger tous les membres du comité.
Après une série de négociations entre le ministre et le président du syndicat des Plasticiens, le vernissage a eu lieu à la condition de retirer les oeuvres de la seconde sélection. Salah Al-Méligui, directeur du secteur des arts plastiques, décide de soutenir les artistes et inaugure l’exposition sans prendre en considération les conditions exigées du ministre. Le lendemain, il est viré de son poste pour acte de désobéissance.
« Les décisions du ministre témoignent d’un manque d’information concernant les règlements de l’Exposition générale et le travail du comité de sélection. Sa position intransigeante et ses accusations sont inacceptables. Son intervention dans notre travail engendre la colère des artistes participants et remet en question notre travail », dénonce le commissaire de l’exposition. Afin de soutenir Al-Méligui, plusieurs réunions ont été tenues au syndicat des Plasticiens.
« La deuxième sélection qui dérange le ministre n’est qu’une deuxième phase de notre travail. Il s’agit de réexaminer les oeuvres soumises au premier tour, donc un second tri », a précisé Hamdi Abdallah, président du comité.
Mais le ministre de la Culture a fait la sourde oreille face à la colère des artistes qui ne cessent de contester ses décisions, affirmant qu’il ne fait que répondre aux exigences des Frères musulmans. Ils dénoncent aussi l’absence de stratégie sur les arts plastiques et la culture dans son ensemble.
« J’irais à l’Unesco pour protéger notre culture », a lancé Al-Tarawi. Les plasticiens se sont joints à d’autres artistes en rogne, organisant des manifestations contre le ministre devant l’Opéra du Caire pour réclamer son départ.
Jusqu’à fin juin au Palais des arts, tous les jours de 10h à 13h30 et de 17h à 21h (sauf le vendredi), terrain de l’Opéra, Guézira. Tél. : 2736 7628
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