Wajib, L’Invitation au mariage.
Le festival du cinéma arabe de Berlin a réussi à s’imposer petit à petit, depuis sa création en 2009, en tant qu’espace réservé au cinéma et à la culture arabe tout court. Le nombre de films projetés durant sa dernière édition, qui a pris fin le 18 avril, a atteint 650 films, soit des fictions et des documentaires ainsi que des courts et des longs métrages, dont des coproductions variées. Avec le printemps arabe en 2011, le festival s’est transformé en une tribune qui présente au public européen des images différentes sur les manifestations qui ont sévi dans cette partie du monde, à comparer avec celles généralement montrées sur les écrans partout dans le monde. Il a voulu révéler d’autres aspects sociaux et culturels de ces peuples, leur quotidien vécu, d’un autre oeil, allant au-delà des clichés traditionnels et des idées reçues. Par exemple, le programme organisé en parallèle à la compétition officielle de 2011 était réservé à l’humour dans le cinéma arabe et à ses comédies classiques.
Ensuite, pour sa 6e édition, en 2015, Berlin a accueilli plusieurs jeunes invités arabes, notamment syriens, avec l’aggravation de la crise déchirant leur pays. Le festival s’est enrichi davantage de par leur présence et a permis de poser plusieurs questions concernant l’attitude des Allemands quant aux réfugiés et les possibilités d’intégration, mais surtout, il est parvenu à dresser un autre constat loin du préétabli. Et ce, à travers la projection de films atypiques et la section « Rétrospective », avec l’invitation de la comédienne Yousra et la présentation de nombre de ses films.
Pour sa 9e édition qui vient de se terminer, les révolutions arabes étaient toujours le premier souci de plusieurs cinéastes. Le film d’ouverture a été signé par la réalisatrice tunisienne Kaouther Ben Hania, La Belle et la Meute (Ala Kaf Afrit, 2017), qui aborde les problèmes de la femme et son rapport au corps, en s’inspirant d’une histoire vraie qui a eu lieu en 2012. Trois policiers voient une jeune fille se promener avec un garçon sur la plage et la violent dans leur voiture. Volubulis est un autre film, qui montre une société en ébullition, cette fois-ci au Maroc. Le réalisateur Faouzi Bensaïdi évoque les disparités sociales faisant des ravages dans une petite ville maghrébine. Et, toujours dans cette optique révolutionnaire se situe le documentaire égyptien de Nada Riad et d’Ayman Al-Amir, Néhayat Saïda (dénouements heureux), offrant plusieurs séquences véridiques de la révolution égyptienne en janvier 2011.
Le festival a également projeté le long métrage palestinien d’Anne-Marie Jacir Wajib, L’Invitation au mariage, tourné à Nazareth, la plus grande ville arabe en Israël. Elle fait le portrait de cette ville dans un style subtile et doux, non sans humeur, par le biais d’un jeune homme qui rentre chez lui, portant toute la douleur et la colère qu’il y a subies auparavant. Progressivement, il découvre la part de tolérance en lui, de quoi lui permettre de reconstruire sa relation avec son entourage, notamment son père, avec qui il a entretenu jusquelà un rapport difficile et fragile. Il arrive enfin à mieux cerner un contexte étouffant.
70 ans depuis la nakba
A l’approche des 70 ans de la nakba, le festival a sélectionné plusieurs films racontant l’histoire de la diaspora palestinienne. Si le personnage principal de Wajib, L’invitation au mariage avait la possibilité de recouvrer sa ville natale, d’autres Palestiniens n’ont pas cette chance. Ils ne peuvent même pas visiter chez eux. Le réalisateur Kamal Al-Jaafari a reflété la réalité amère de la vie à Ramlah où il est né, et à Jaffa où il a grandi, dans son film The Roof (Al-Sath). Le Rêve (Al-Manam), du Syrien Mohamed Malas, tourné au Liban dans les camps palestiniens entre 1980 et 2018, est un documentaire classique qui relate 35 ans d’Histoire. Le réalisateur se base sur les témoignages des habitants de ces camps de réfugiés, faisant état de leur quotidien et de leurs rêves. Quant au court métrage du Palestinien Moustapha Abou-Ali, il aborde une autre facette de la catastrophe, en focalisant sur la vie et l’oeuvre du photographe de l’OLP Hani Jawhariya. D’où des images rares d’archives qui remontent aux années 1970, montrant des leaders et des combattants de l’OLP, représentants d’un discours beaucoup plus emphatique à comparer avec celui des habitants des camps de réfugiés, beaucoup plus spontané.
L’Algérie en 40 ans
Les débats autour des films se sont déroulés en anglais pour assurer une meilleure participation, vu la diversité du public, des invités et des cinéastes. Les organisateurs ont fait de leur mieux pour approcher la culture arabe par le biais de ses cinémas : classique, indépendant, expérimental et commercial. Ils ont tenu par exemple à projeter un film classique, restauré, de l’Algérien Merzak Allouache, Omar Gatlato Rejla (1976) ainsi que son avantdernier film, Madame Courage (2015). Entre ces deux dates, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts. On est bel et bien emmené dans un voyage au sein de la société algérienne. Même si on ne sait pas encore précisément quels seront les principaux traits de la prochaine édition, une chose est sûre, la dixième année marquera la maturité et la spécificité du festival, organisé par le Centre arabe des arts du film et de la culture arabe, Makan .
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