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La maison des monstres

May Sélim, Lundi, 23 avril 2018

Dans sa récente pièce de théâtre Métamorphose, le metteur en scène Omar Al-Moetaz Billah s’inspire de ses cauchemars qui abondent en créatures monstrueuses. Il place ses visions peu optimistes dans un bâtiment en ruine du centre-ville cairote.

La maison des monstres
Une personne qui perd son âme se transforme en monstre. (Photo : Checo)

Le rendez-vous est fixé à 20h, devant le cinéma Renaissance de la rue Emadeddine, au Caire. Des guides viennent escorter le public pour que chacun trouve sa place au sein d’un bâtiment en ruine, celui de l’ancien cinéma Cairo, qui se trouve de l’autre côté de la rue. Les échafaudages révèlent que l’endroit est en voie de restauration et l’enseigne en anglais affiche toujours le nom du cinéma, qui était autrefois l’une des salles les plus fréquentées. Nous sommes à peine entrés dans le vieux bâtiment que notre guide nous prie de bien suivre ses instructions : prendre un masque au guichet ainsi qu’une torche et une bande en plastique avec le nom de chacun inscrit dessus pour l’enfiler autour de la main.

Dans le noir, on passe ensuite au troisième étage. Là, sous un éclairage de bougies, une femme avec un couperet prépare de la viande. Elle travaille avec assiduité et se rappelle quelques mots et dates qu’elle prononce de temps à autre. Un monstre, soit un homme sous forme de cochon, descend du quatrième étage et fait signe de le suivre. C’est ainsi que débute la pièce de théâtre The Metamorphosis (métamorphose), écrite et mise en scène par Omar Al-Moetaz Billah.

Avec méfiance, le public avance pour prendre part au jeu. La curiosité vainc la peur et le doute. La porte est déjà fermée. Et de toute façon, on ne peut faire marche arrière. Il faut suivre le guide ou le placeur, qui ne tardera pas à faire signe de quitter notre emplacement pour parvenir à un autre endroit, toujours à l’intérieur du vieux bâtiment. Un thriller sur les planches ? Oui. Al- Moetaz Billah réussit à capter l’attention et à nous faire suivre l’histoire de trois créatures monstrueuses qui bougent dans l’espace clos en ruine.

C’est difficile de comprendre pourquoi elles restent toujours ensemble, mais apparemment, ce sont les derniers êtres humains sur terre. Une femme prépare les plats du jour. Une autre, presque à moitié chauve, glisse par terre avec un ancien poste de télévision qui ne diffuse que des images chaotiques. Un homme au visage de cochon et à la jambe amputée ne cesse de ramper sur scène en traînant une chaise en bois. Les trois suscitent chez le spectateur un sentiment d’horreur. Attendent-ils la mort ? Une métamorphose soudaine ? En tout cas, ils ont l’air mystérieux. « Mes personnages sont empruntés à mes cauchemars. Ils me hantent depuis longtemps, alors je les ai dessinés en sketchs. Ensuite, ils m’ont incité à raconter leur monde, leur indifférence et leur langueur à travers cette pièce », souligne Omar Al-Moetaz Billah, qui avoue avoir passé trois ans à écrire et préparer sa pièce.

De l’arabe classique

Le développement dramatique de la pièce est linéaire. L’auteur avoue ne pas suivre les règles de la dramatisation classique. Il a juste voulu placer son public au sein de ses cauchemars pour l’inciter à réfléchir. « Ce n’est pas le rôle de l’artiste de proposer une solution aux problèmes vécus. Il les exprime à sa manière et pousse le spectateur à agir par lui-même. Si ce dernier arrive à s’identifier aux personnages, mon idée lui est parvenue ». Et d’ajouter : « Il ne s’agit ni d’une adaptation de l’oeuvre de Kafka, ni d’une inspiration littéraire. J’ai longtemps pensé au titre. Ce n’est pas la transformation que je mets en évidence ici. Mes créatures ont déjà subi un changement radical. Ils sont dans un état d’attente et rien ne se passe pour eux. Ils ont cédé au changement et n’aspirent pas à autre chose ».

L’éclairage est sombre et le décor composé de ruines et de débris de viande de cochon. Grâce à un mouvement bien étudié, signé par le chorégraphe Hazem Heidar, les personnages bougent chacun selon son caractère. Les habits de couleurs poussiéreuses ajoutent davantage à la bizarrerie des personnages. Le maquillage de Dina Salem accentue l’aspect des monstres aux teints grisâtres.

Les personnages parlent d’un ton indifférent, en arabe classique. Ils insistent sur le fait qu’ils sont des êtres humains en attente de la mort. « L’usage de l’arabe classique est un peu paradoxal. Ces créatures appartiennent à l’avenir, donc ils auraient dû recourir à un langage plus familier. Mais j’ai préféré l’arabe classique parce qu’il ajoute plus de valeur au texte. Cela donne l’impression d’être plus sérieux », estime Omar Al-Moetaz Billah, qui semble avoir préféré l’allure de ses personnages au détriment du dialogue théâtral. En fait, les monologues ou les phrases échangées sont plutôt des discours d’aparté avec quelques mots-clés qui résument l’idée de la pièce.

La femme chauve séduit l’hommecochon, puis le tue. L’autre femme, celle qui préparait le plat du jour, l’accroche comme une grosse pièce de charcuterie. La maison des monstres commence à s’effondrer. Il est temps de sortir rapidement de ce cauchemar, non sans indifférence. Il est temps de rompre avec sa passivité .

Métamorphose sera repris prochainement dans un autre espace au centre-ville, qui reste à déterminer.

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