Al-Ahram Hebdo : Vous venez du milieu académique, ensuite, vous avez commencé à réaliser des documentaires, des courts métrages et deux longs métrages. Comment conciliez-vous ces deux métiers ? Lequel des deux est votre vraie passion ?
Azlarabe Alaoui Lamharzi : Cette question m’aurait étédifficile si j’avais étudiéune autre discipline que le cinéma. En fait, je suis un enseignant supérieur du cinéma et titulaire d’un doctorat dans cette branche. J’enseigne donc dans un esprit qui associe l’amour du cinéma àl’amour de l’enseigner àautrui. Je peux dire que je vis et ressens cette complémentaritéentre les études académiques du cinéma d’un côté, qui sont la partie théorique, puisque en tant qu’enseignant, j’ouvre des discussions avec les étudiants, lors desquelles j’enseigne et j’apprends, et d’un autre côté, l’application du théorique dans la réalisation de mes films. Pour répondre àla question, je dirais : réaliser et enseigner sont les deux sections théoriques et pratiques de la même profession.
Au Maroc, j’ai eu beau chercher, sans succès, des établissements pour effectuer des stages, des instituts pour apprendre le cinéma. Je me suis donc rendu en Egypte pour apprendre le cinéma àl’Institut national du cinéma et puis, suite àdes difficultés financières, je suis finalement retournéau Maroc. Je ne voudrais pas que la jeunesse marocaine revive ces obstacles, c’est pour cela que je me suis engagéàl’aider autant que possible, en organisant et animant des ateliers, en donnant des cours dans le cadre de nombreux festivals dans plusieurs villes et villages. D’ailleurs, dans mon dernier film, La Cité des hiboux, j’ai permis à14 stagiaires de côtoyer des professionnels confirmés.
— Dans votre fiction Izourane, la femme est le personnage phare et l’homme est en marge des événements. Dans Andromane, il y a aussi le questionnement quant à la situation de la femme dans une société conservatrice. La cause de la femme est-elle un sujet qui vous préoccupe particulièrement ?
—La femme, pour moi, est synonyme de générosité. J’ai aiméma mère, et àtravers elle, j’ai aimétoutes les femmes. J’ai perdu mon père àl’âge de 14 ans. J’ai donc touchéde très près les efforts que ma mère a déployés pour donner àmes frères et àmoi une bonne éducation. J’ai vu de mes propres yeux comment elle luttait pour que ses enfants puissent étudier. Cet amour et cette passion envers les femmes ressortent dans mes films.
— Dans vos documentaires aussi, vous traitez de grandes causes. Est-ce par engagement ? Est-ce qu’un réalisateur arabo-africain doit particulièrement aborder les grandes causes ? Pensez-vous que le rôle de l’intellectuel dans la société d’aujourd’hui a changé?
— L’artiste ou le créateur doit parler de la sociétédans laquelle il vit, exprimer ses préoccupations et ses problèmes. Etre, comme le disait le philosophe Gramsci, «l’intellectuel organique ». Mon choix de sujets épineux émane de mon engagement en tant qu’artiste auprès des classes marginalisées de la société. Un engagement qui caractérise clairement toutes mes oeuvres audiovisuelles. Il y a eu une décadence significative du rôle des intellectuels en général dans les cercles culturels africains et arabes. Dès qu’un intellectuel est impliquédans un sujet, il est immédiatement soumis àune pression énorme.
Les pressions des régimes non démocratiques ne cessent d’éloigner les intellectuels ; les régimes politiques n’épargnent pas d’efforts pour disperser la vision des jeunes de la réalité. Je peux vous dire que je crois en l’importance de l’image quant au changement des cerveaux. De nos jours, l’image est une arme importante dans les guerres entre les pays. On voit bien que l’on peut maîtriser une nation entière en l’envahissant par une image.
— Certains reprochent au cinéma marocain du siècle dernier et même du début de ce siècle de ne pas montrer le Maroc authentique, ou parfois, de répondre à un agenda occidental pour pouvoir profiter des financements qui s’offrent. Qu’en pensezvous ?
—Cela est vrai. Dans les pays arabes ou africains, généralement, afin d’avoir accès àune coproduction ou un soutien financier, on doit présenter des visions liées àla sociétéet àla tradition qui nous sont imposées. Rien n’est gratuit : les scénarios sont obligatoirement revisités et plus ou moins ajustés. Cela m’est arrivépersonnellement, car on m’a demandéde focaliser sur des scènes de désir sexuel entre deux filles en prison, ce qui allait dévier le film de son rôle principal, qui porte sur la tragédie de la dispersion des familles. D’ailleurs, j’ai refusé, et le film n’a toujours pas vu le jour.
— Le cinéma marocain est sollicité dans tous les festivals du monde et a une place importante dans le paysage cinématographique africain. Peut-on parler aujourd’hui d’une industrie solide ?
—Malgréles grands pas en avant du cinéma marocain, son succès reste conditionnépar l’existence du soutien étatique. L’industrie cinématographique marocaine connaît peu de progrès, vu l’absence d’acteurs privés. Il est vrai que le cinéma marocain s’est développéen termes de technologies et de traitement, mais il n’y a pas de productions réelles, puisque toutes les entreprises sur place sont plus exécutives que productives.
— Quel est le sujet de votre dernier film ?
—La Cité des hiboux porte sur la vie des gardiens d’un centre secret de détention, qui est restélongtemps en dehors de l’histoire. D’ailleurs, je cherche toujours un distributeur, afin de promouvoir le film et de l’envoyer dans des festivals .
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