La rétrospective de l’artiste Sabri Mansour, à la galerie Ofoq1, montre les quatre phases de sa carrière, à savoir Le Zar (séance d’exorcisme), la campagne, l’ère pharaonique et la 4e période où il mélange les trois premières ensemble pour former un tout assez spirituel.
Appartenant à la 4e génération d’artistes égyptiens qui ont façonné le paysage local de l’art plastique, Mansour range ses toiles sous l’étiquette « métaphysique surréaliste ». Celles-ci sont fortement liées au patrimoine culturel égyptien et ont été réalisées entre 1964 et 2017.
La couleur bleu-vert ou celle du turquoise égyptien domine la surface des toiles, créant ainsi, sous l’effet de la lune, une ambiance romantique et rêveuse. Sous une lumière quasi mystique, cette couleur attribue aux oeuvres un aspect féerique ou mythologique. Les corps d’hommes et de femmes sont esquissés sans trop de détails et agencés de manière très sensuelle, même si parfois il s’agit de rituel religieux ou de funérailles. Les scènes font fusionner mythe pharaonique, paysage rural et veillée nocturne, invitant à une grande spiritualité. Dans l’ensemble, le travail de Sabri Mansour donne l’impression d’être au sein d’un temple pharaonique, teinté en bleu et incrusté de totems et de talismans indéchiffrables, proche des hiéroglyphes. « Le bleu égyptien est le premier pigment créé par l’homme. Une couleur bénéfique qui éloigne les forces du mal. Il est associé aux rituels funéraires pour protéger les défunts dans l’au-delà. Symbole de sexualité entre les êtres humains, de l’air et du ciel, de la voûte céleste de la nuit, du rêve, ou encore de l’univers aquatique du Nil, d’où jaillit toute la vie, le bleu est également la couleur du dieu Amon qui était, entre autres, un dieu de l’atmosphère », explique Sabri Mansour, dont l’art est riche en signes et en symboles très égyptiens, qu’il puise dans la civilisation pharaonique et le monde rural. De quoi stimuler pas mal de questions existentialistes, traitant du Moi et de l’Autre, du terrestre et du céleste, du présent temporel et du passé éternel. « Le trait d’union entre mes peintures, c’est la question du destin de l’homme. Celui-ci fait face, tout au long de sa vie, à des questions existentialistes. La réalité est-elle réelle ? Ou une pure création de l’esprit? Mes oeuvres se placent quelque part entre le réel et l’imaginaire. Elles tentent de porter une réponse à toutes ces questions, à travers un voyage dans l’espace-temps », explique Mansour.
Séances d’exorcisme
Le monde rural, Entre ciel et terre.
Qualifiée de « cosmique », la peinture-phare de la rétrospective en cours est très représentative de la première phase de l’artiste, plutôt académique. Il s’agit de la phase où il était épris du rituel du zar dans les années 1960. « En dépit de ses lignes académiques, le Zar, la peinture de mon projet de fin d’études, à la faculté des beaux-arts, Université de Hélouan, en 1964, place ses protagonistes femmes dans une ambiance de mystères et de fantasmes effrayants. A la fois silencieuse et en mouvements, elles transmettent leur énergie débordante aux autres personnages de la toile. C’est un moment de communication entre le monde des humains et celui des esprits ou des démons », précise Mansour.
Libéré des contraintes académiques, Sabri Mansour passe à sa deuxième phase artistique dans les années 1970 avec une série de peintures traitant de la campagne créant de nouvelles relations spatiales entre l’homme et la nature. D’où des compositions géométriques, très étroites, strictes et rigides, aux textures riches en motifs ruraux égyptiens: oiseau, palmier, croissant, lune, plantes, pégase, maisons en pisée ressemblant à des grottes aux petites fenêtres, etc. Les éléments de la nature rurale dominent les toiles, dans une symétrie architecturale, pour former une nouvelle relation entre la nature et l’homme, la statique et la dynamique, le terrestre et le céleste, ou encore l’organique et le psychique. « C’est à travers ces petites fenêtres que mes figures humaines, assez floues, regardent le monde, le découvrent, à partir de leurs cavernes. Il y a toujours un jeu de contraste, d’ombre et de lumière, de clair-obscur, d’amour et de haine, bien et mal, espoir et désespoir », souligne Mansour.
Cantiques égyptiens.
Ses personnages favoris sont le couple : Adam et Eve. L’homme et la femme sont souvent installés quelque part, entre ciel et terre, dans un monde lointain, animant des scènes romantiques et chimériques. « Le monde de la nuit à la campagne égyptienne a de tout temps suscité mon intérêt. Fils de la campagne, notamment du village Bakhati, du gouvernorat de Ménoufiya, dans le Delta, je garde de beaux souvenirs de mon enfance. Ceux-ci ont largement influencé mon art. La campagne égyptienne est riche en inspiration, en signification et en symbole. Dans le temps, la nuit à la campagne était sans électricité. Seule la lune l’illuminait. C’est dans cette ambiance romantique que je peins mes protagonistes. La nuit et ses légendes, le pégase et les rêves, la sorcière des rivières bien connue dans les fables du delta du Nil, etc. Autant de scènes campagnardes originales, loin du déjà-vu », poursuit Mansour.
Le pharaonique
L’Ile des amoureux.
Fasciné par l’ancienne civilisation égyptienne, notamment après un voyage effectué à Louqsor et Assouan dans les années 1980, Sabri Mansour commence une nouvelle ère de sa carrière. C’est par excellence sa période pharaonique, également en exposition à la salle Ofoq 1. Sa peinture Taranim Masriya (cantiques égyptiens, 1986) en est un fort exemple. Car l’oeuvre iconique est riche en motifs pharaoniques, peints en miniature. Pour déchiffrer les composantes de cette toile immense, il faut la contempler de près, pour remarquer ses petits détails: un pégase, un palmier, une pyramide, une momie inhumée, une déesse quelconque, etc. Bref, tout un monde mystique et sacré, qui abonde de scènes d’adoration, d’offrandes, de funérailles ou de lamentations. « Dans ce tableau, les personnages pleurent leur passé glorieux; ils se plaignent de leur sort actuel, à une époque où les trésors des pharaons sont largement pillés ou négligés », accentue Mansour, dont la quatrième phase artistique, celle commencée dans les années 1990, constitue un mélange de tout ce qu’il a fait dans le passé. Il y a le pharaonique, le rural, le romantique au clair de lune, etc.
Le peintre anime son monde fétiche, en prenant ses aises, doté d’une belle expérience et d’une sagesse accumulée au fil des ans. Guéziret Al-Hob (l’île des amoureux), sa dernière peinture réalisée en 2000, en fait preuve, faisant office d’une ode au rêve, à la sagesse et à la sérénité espérée.
Rétrospective de Sabri Mansour, à la galerie A Ofoq 1 jusqu’au 26 mars, de 10h à14h et de18h à 21h (sauf les vendredi et samedi). 1, rue Kafour, Guiza.
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