Al-Ahram hebdo : Votre dernier documentaire, Alat Hadda (Sharp Tools ou outils pointus) cherche-t-il à éveiller la curiosité des spectateurs pour explorer l’histoire des arts plastiques aux Emirats arabes unis ?
Noujoum Al-Ghanem: J’ai voulu préserver la mémoire du plasticien émirati Hassan Al-Chérif, qui a une renommée internationale avec toutes les valeurs qu’il a concrétisées au cours d’un demi-siècle. Avec mon mari, le poète Khaled Al-Badour, nous avons fait connaissance avec l’artiste Hassan Al-Chérif, dans les années 1980, sur fond de crise. Il y avait un soupçon de fraude, lors des élections de l’Union des écrivains émiratis, et nous avons fait part de notre mécontentement, en soumettant une pétition. A l’époque, Hassan Al-Chérif venait de rentrer de la Grande-Bretagne, où il a parachevé ses études, animé par de grands rêves et d’une vision artistique novatrice assez proche de la nôtre. Car mon mari et moi, nous avons opté pour la poésie en prose, loin de faire l’unanimité parmi les intellectuels. Notre rapprochement s’est transformé en une amitié solide qui nous a permis de fonder ensemble l’association Aqwass (parenthèses) et de lancer Selsélat Al-Ramad (la série des cendres).
— Le champ artistique aux Emirats arabes unis a un véritable essor. Quels sont les défis qui restent à relever ?
— Les choses ont beaucoup évolué, notamment dans le domaine des arts plastiques. Par exemple, l’oeuvre de Hassan Al-Chérif suscitait un grand étonnement dans les années 1980, alors qu’aujourd’hui elle est mieux comprise et merveilleusement accueillie. On apprécie vivement la reconnaissance mondiale, dont il fait objet, et l’on reconnaît son rôle dans l’évolution des arts plastiques dans les pays du Golfe. Sur le plan littéraire, il est plus difficile de cerner la réponse. Car jusqu’ici, je ne peux pas dire que le poème en prose s’est imposé ou qu’il est parvenu à atteindre le grand public, surtout à l’ombre des produits culturels, plutôt d’ordre commercial, que diffusent les médias. Et ce, même si les poètes émiratis se sont fait une place dans le domaine de la poésie en prose. Je reçois tout le temps des invitations pour participer à des festivals de poésie, dans le monde arabe comme partout ailleurs.
— La femme a réussi à s’adjuger un rôle important sur la scène artistique émiratie. Qu’est-ce qui lie les artistes-femmes dans votre pays ?
— Sans doute, on ne peut pas aborder la scène artistique dans mon pays sans parler des femmes. Les poétesses et les artistes, comme moi, Zabia Khamis, Hamda Khamis, Héssa Abdallah, Fatma Lawattar et Najet Hassan, ont toutes été très influencées par les écoles et les tendances européennes comme le dadaïsme par exemple. Ensemble, nous avons voulu, chacune à sa manière et avec ses propres outils, construire quelque chose de différent, mais allant toutes dans un même sens.
— Pourquoi surtout le dadaïsme ?
— Car il est venu bouleverser les idées préétablies et les formes classiques. Il y a sans doute plusieurs autres courants qui ont fait la même chose, mais le dadaïsme a affirmé de manière claire que l’art n’est pas un simple décor.
— Sharp Tools est très différent du reste de votre filmographie, est-ce qu’il a été conçu dans cet esprit depuis le début ?
— Oui certes, dès le départ, j’ai voulu faire un film différent. J’ai travaillé sur le montage, pendant plus d’un an et demi, avant la mort de Hassan Al-Chérif. La disparition de ce dernier a imposé l’ajout de certaines séquences. Alors, je les ai tournées et poursuivi le montage à bâtons rompus.
Hassan Al-Chérif voulait tout le temps être seul en image. C’était un vrai défi que j’ai essayé de surmonter par le montage, pour échapper à la monotonie et capter l’attention avec toujours un seul personnage sur scène. De plus, les idées évoquées par l’artiste-peintre imposaient une certaine forme ou une certaine structure pour les accompagner.
— On y retrouve quand même des thèmes qui vous sont chers comme l’isolement …
— J’avoue que l’isolement est un thème assez récurrent dans mon oeuvre cinématographique, littéraire, etc. Il revient inlassablement toutes les fois que je choisis d’aborder un personnage à l’écran ou sur papier. Ce sont souvent des personnages très particuliers et à multifacettes, qui nécessitent de véritables recherches anthropologiques durant la période de préparation. Mon rôle de réalisatrice consiste à mettre en relief la spécificité de ces êtres pas comme les autres.
— Avez-vous fait exprès de ne pas recourir à une musique dramatique dans ce film ?
— Le sujet abordé a ses diktats, et donc il faut réagir au cas par cas. Ce documentaire, relatant la vie, l’oeuvre et la philosophie de Hassan Al-Chérif, devait lui ressembler, entre autres, grâce aux sons qui sont propres à sa personnalité. Donc on entend le bruit de son pinceau sur la toile, les miaulements de son chat, le martèlement et les discussions dans son atelier …
— Quels sont les problèmes qu’affrontent les producteurs de cinéma dit « indépendant » aux Emirats ?
— D’abord, trouver un bailleur de fonds et le convaincre. Le problème est encore plus compliqué lorsqu’il s’agit de tourner un documentaire. Puis, il faut trouver des salles qui veulent bien projeter ce genre de films, qui ne visent pas le gain commercial en premier lieu. Et ce, d’autant plus que le documentaire n’est pas monnaie courante et n’a pas vraiment le vent en poupe.
— Quel sera votre prochain projet ?
— Je travaille actuellement sur mon premier long métrage, un drame social qui se déroule aux Emirats arabes unis.
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