Les deux peintres avaient le même tempérament. La méditation, l’interaction sociale, le dévouement au travail et la même sensibilité vis-à-vis des événements politico-sociaux. Tous deux appartenaient à l’école égyptienne de l’impressionnisme, dont le père fondateur a été incontestablement Youssef Kamel. Son beau-fils, Kamel Moustapha, également artiste-peintre, en était l’adepte le plus sincère. Le premier aurait eu, le 26 mai dernier, 122 ans. Et le second, né le même jour après tant d’années, devrait avoir 96 ans.
Youssef Kamel appartenait à la génération dite des 7 pionniers égyptiens de la peinture, il est sorti des beaux-arts en 1908, où il a appris à reproduire la nature en la côtoyant directement, loin des lieux clos, grâce à ses professeurs étrangers. Il a appris à goûter le soleil du Caire dont les rayons sont reflétés par les murailles des mosquées fatimides et brillent sur les champs cultivés par les paysans.
Encouragé par le leader de la révolution de 1919, Saad Zaghloul, le Parlement égyptien décide d’adopter le budget nécessaire à l’envoi de boursiers en Europe pour parachever leurs études en beaux-arts. Parmi ces derniers : Youssef Kamel et son compagnon de route Ragheb Ayad, partis en Italie.
Diplôme en poche, Youssef Kamel est nommé maître à l’école des beaux-arts. Et est alors intronisé sur la scène artistique, laissant la bride à sa créativité. Son école impressionniste s’inspire des ingrédients de la nature, comme ces paysans qu’il scrute dans tous leurs états, la lumière du jour, et ses portraits qu’il dessinait de ses proches et compatriotes. Bref, Youssef Kamal était une source intarissable jusqu’à sa mort en 1971, dans son atelier-maison à Matariya. Le style de Youssef Kamel est passé par trois phases.
La première, de 1908 à 1929, a connu ses débuts jusqu’à la fin de ses études en Italie. Il s’est distingué durant cette phase par son style clair-obscur, frôlant les limites du romantisme de l’école néoclassique. Ses travaux à Rome restent très représentatifs de cette période. La deuxième phase, de 1930 à 1960, a été celle de la consécration, avec notamment des thèmes très égyptiens : paysages du Nil, ruelles et monuments du Caire fatimide, etc. La troisième, de 1961 à 1971, est celle de la solitude à Matariya. Rongé par la maladie, ses coups de pinceau acquièrent force et véhémence, les détails s’estompent.
Disciple et gendre
L’Alexandrin Kamel Moustapha était venu voir Youssef Kamel, pour la première fois au Caire, avec une lettre de recommandation d’un autre maître incontesté de la peinture, à savoir Mahmoud Saïd. Et à l’école des beaux-arts, il a fréquenté tous les grands, mais de tous ses professeurs, Youssef Kamel a été celui qui l’a imprégné le plus par son style impressionniste, ses valeurs, sa sincérité et ses directives simples. Sans aucun doute, le tempérament qu’ils avaient en commun a joué un rôle important dans leur rapprochement. Kamel Moustapha suivait les pas de son maître et a même épousé sa fille. Après avoir décroché son diplôme, il est parti en Italie (1946-1950) où il a acquis pas mal d’expériences, en matière d’ornementation et de restauration. De retour en Egypte, il a été nommé, en 1958, comme chef de la section de peinture figurative aux beaux-arts d’Alexandrie. Son imagination se déchaîna et traça la mer, les bateaux et les paysages de sa ville côtière. Il a pour ainsi dire cherché à reconstruire le champ plastique, après le départ de la majorité des artistes occidentaux installés en Egypte. Ainsi on pouvait retrouver ses oeuvres dans plusieurs musées s’attaquant à des sujets historiques peu saisis par d’autres.
A l’instar de son maître, son parcours fut marqué par trois phases : La première, de 1936 à 1946, a été celle de l’impressionnisme par excellence. La deuxième, de 1947 à 1957, est marquée par une tentative de rompre avec l’impressionnisme traditionnel, simplifiant les lignes et les couleurs pour se rapprocher plus de Matisse ou de Picasso, à un moment donné. Et au cours de la troisième phase, de 1958 à 1982, il fut proche du néoclassicisme.
Résistances
Kamel et Moustapha, l’élève et son maître, n’étaient pas nés le même jour, comme par hasard. Plusieurs points les rapprochaient dont, entre autres, le sens du patriotisme. Youssef Kamel était l’un des révolutionnaires de 1919. Il encourageait l’industrie nationale et refusait toute discrimination entre coptes et musulmans. D’ailleurs, son amitié avec Ragheb Ayad les a transformés en icônes de l’unité nationale. Quant à Kamel Moustapha, il fut très marqué par l’agression tripartite en 1956, et a dépeint son célèbre tableau « La résistance de Port-Saïd ». Celui-ci fut diffusé en supplément avec le journal Al-Messa (le soir), car exprimant la rage de l’opinion publique à l’époque.
Malgré ce rapprochement étroit, ils ne se ressemblaient pas comme deux gouttes d’eau. Youssef Kamel n’a jamais peint de nues, bien que ravissant portraitiste. Il n’a jamais fait de portrait sur commande non plus, ayant préféré rester toujours libre comme le vent. Il est resté aussi un artiste très cairote, contrairement à son élève alexandrin, beaucoup plus flexible sur le choix des portraits et des villes. Ce dernier a été même jusqu’au sud, pour embrasser les horizons plus vastes d’Assouan .
Lien court: