
Visages ludiques à la Gamal Abdel-Nasser.
Picasso rêvait de dessiner comme le ferait un enfant. Gamal Abdel-Nasser, lui, nous éblouit par cette force énergétique qui se dégage de ses sculptures et qui touche aussi bien les petits que les grands. Avec gaieté et maîtrise, il fait vibrer cette partie encore spontanée en nous qui semble peu à peu disparaître. La spontanéité des enfants nous permet de retrouver ces moments de grâce et de joie, dont nous nous étions éloignés. Il suffit de contempler un enfant de quatre ans, pouffant d’un rire cristallin devant les petites sculptures de Nasser — toutes en couleur et en mouvement— pour saisir l’énergie émise qui s’en dégage. Nous sourions en regardant les petits visages sculptés aux grimaces ridicules et aux mouvements perpétuels, alors que les enfants, eux, ne se privent pas d’éclater de rire sans équivoque, en se promenant parmi ces visages. Nasser réussit à atteindre les petits et les grands en touchant ces zones de vérité en nous. Nous partageons alors des moments de bonheur, qui nous offrent des possibilités de réflexion profonde, et ce, face à la simplicité et à la gaieté des nombreuses sculptures.
Sans trop s’attarder sur les masses de pierre, de bronze ou de marbre des sculptures classiques, Nasser s’est tourné vers le bois pour en faire des sculptures de petite taille, toutes en couleurs. Il nous lance des clins d’oeil, narquois ou satiriques, ou bien les deux à la fois. Transgressant toutes les règles de la sculpture classique, Nasser crée un monde de couleurs qui nous submerge. D’ailleurs, pour ceux qui penseraient autrement, il fait remarquer que chez les pharaons, les couleurs étaient également de mise.
On ne sait pas trop comment, mais les visages qu’il nous offre semblent nous prendre par la main ou, virevoltant de toute leur force, nous communiquer une immense énergie. Leurs yeux partent dans tous les sens, tandis que leurs lèvres se battent pour se faire une place, que les nez rient de toute leur force et que les petits corps resplendissent de couleurs. Un chapeau est posé sur la tête d’une sculpture représentant une femme avec des cheveux sous forme de cordes, alors qu’une autre représente un homme qui se confond avec un coq. Chez Nasser, l’étonnement et la surprise sont toujours de la partie.
La force du rire
Effilées ou aplaties, rondes ou triangulaires, les sculptures de Nasser, si légères et aériennes, semblent sur le point de décoller vers un autre monde. Dotant ses sculptures de mouvement, Nasser déjoue les lois de la gravité avec un humour bien à lui.
Enfant, Nasser aimait créer avec de la pâte à modeler — qui était le seul matériau qu’il pouvait utiliser— des formes diverses. Mais au lieu d’apprendre à jouer au violon comme son père, il sculptait des personnages qui faisaient du violon. Plus tard, à la faculté des beaux-arts, il s’intéresse particulièrement à Michel-Ange, mais sera déçu par l’apprentissage trop classique de la sculpture. Toutefois, il fera deux rencontres formatrices avec deux grands sculpteurs, Sobhi Guirguis (1929-2013) et Abdel-Hadi Al-Wechahi (1936-2013). Tous les deux savaient transgresser les règles et puiser dans leur patrimoine historique.
Les petites formes extrêmement originales de Sobhi Guirguis ont vite séduit Nasser. Un séjour de 6 mois dans la ville de Bâle, en Suisse, effectué grâce à une bourse, l’a aidé à parfaire sa vision et à découvrir d’autres écoles et artistes. Au fil des années, il a trouvé son propre chemin et s’est penché vers les animaux, mais surtout les êtres humains, sa grande passion. A travers les visages qu’il présente dans son exposition, au-delà du côté ludique, il raconte en filigrane notre histoire face aux éléments d’un monde qu’il déforme, comme dans la caricature. Cependant, notre faculté d’en rire et de tourner les choses en dérision reste notre grande force.
Sans aucune complaisance, l’artiste joue et déforme le monde pour rire de lui-même et de nous. Dans ce bain de couleurs et de dérision, sans noirceur et sans états dépressifs, on se sent entouré d’énergie positive. Le visiteur prend des forces pour affronter, en dehors des murs de la galerie, la brutalité et les injustices du quotidien. Mais Nasser nous communique les moyens moraux d’y remédier. N’est-ce pas là la fonction la plus noble de l’art ?.
Jusqu’au 20 février, à la galerie Zamalek. 11, rue Brésil. De 10h30 à 21h, sauf les vendredis.
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