Femme qui pleure sans larmes, dans une solitude intense.
Face à un monde qui se veut ancré dans le progrès, le bien-être et l’avenir, Samir Fouad lance son cri d’alarme: « Halte, nous ne sommes pas heureux ! ». Ce peintre au cheminement personnel original et profondément marqué par son environnement fait part de sa prise de conscience d’un monde qui perd ses vrais repères. Entre l’art qu’il affectionne plus que tout et des études en communication et en polytechnique, il se situe au plus près de l’être humain de son pays et également du monde. Dans une peinture qui reprend la publicité pour la marque de thé égyptien Al-Aroussa (la poupée), Fouad allie une poupée qui nous rappelle Vélasquez à l’écriture en lettres arabes, afin de signaler une perte d’identité à cause de la mondialisation. A travers l’innocence d’une petite fille qui nous rappelle également la poupée en sucre du Mouled égyptien et les caractères arabes de la publicité d’un thé local, il lance un regard ironique sur la parodie dans laquelle nous baignons, presque sans le savoir. En choisissant la boisson préférée des Egyptiens, à savoir le thé, il atteint sa cible de manière plus percutante.
Dans d’autres oeuvres inspirées du monde de la publicité, les personnages nous fixent quelquefois tristement, tandis que d’autres fois, ils ont le visage perdu et les traits effacés. Dans une publicité de Coca-Cola, on voit par exemple un homme vêtu en Batman, personnage incontournable qui a fait son chemin à travers le monde et dont les vêtements et les performances nous ont détournés d’autres personnages locaux et traditionnels.
Ces êtres, seuls dans toutes les peintures, ne peuvent pas cacher une détresse et une solitude qui nous arrachent à notre état de bien-être. Et quand les personnages sourient, c’est d’un sourire vide et sans âme. Comme dans cette oeuvre inspirée d’une publicité de lait et dans laquelle la grande comédienne Hind Rostom a le regard vide et le sourire éteint. Derrière elle, le lait emplit l’espace de manière désordonnée. Les publicités choisies par Fouad, tout en se voulant triomphantes, cachent des contradictions qui vont à l’encontre de ce qu’elles s’évertuent à nous communiquer. C’est là la manière de Fouad de dénoncer ce qu’il observe autour de nous.
Mal de vivre
Dans les peintures de Fouad, les êtres humains— hommes ou femmes— jouent plusieurs instruments, mais leurs visages effacés nous informent que leur musique est aphone ou émet des sons qui expriment leur mal de vivre. Des femmes assises ou debout pleurent sans larmes, dans une solitude intense, une poupée sur les genoux, les yeux baissés ou le regard dans le vide, avec un arrière-fond neutre auquel on ne peut s’accrocher. Dans une peinture à laquelle il est difficile de rester indifférent, une femme corpulente, tenant une grande boule, semble dresser un chimpanzé pour lui apprendre à faire des acrobaties. Des objets de torture sont éparpillés ça et là, notamment un énorme couteau. Même les animaux ne peuvent échapper à la détresse. Le malaise est palpable, comme celui de cette femme au regard fixe, qui hurle de toutes ses forces — seul moyen d’échapper au cercle infernal. Les couleurs et les fonds des peintures varient entre le gris et le jaune ocre. Quelquefois, il n’y a pas de couleur.
Fouad commence son parcours artistique à l’âge de huit ans, lorsque son frère aîné lui offre une boîte d’aquarelles. Il découvre ce produit, qui s’étend avec légèreté, mais qui est difficile à manier. Le peintre a toujours vécu dans un lien étroit avec l’art, grâce à son père qui avait fait des études d’arts appliqués et qui l’a encouragé, et à son frère aîné qui, tout en étant aviateur, peignait dans ses moments de loisir. Fouad fera, lui, des études de polytechnique et communication, avant de se lancer lui aussi dans le monde artistique, sous le regard attentionné du grand peintre Hassan Soliman, et faisant de nombreux déplacements en Egypte et à l’étranger pour se perfectionner.
Tous les jours, dès huit heures du matin, Fouad se rend à son atelier pour y rester jusqu’à seize heures, quelle que soit sa production. Une discipline qu’il a sans doute développée grâce à son approche scientifique de la vie et à son amour pour la peinture, qu’il nous invite à partager. Dans son actuelle exposition à la galerie Ofoq, l’artiste réussit, avec sensibilité et profondeur, à nous tendre le miroir de notre quotidien, parvenant à nous communiquer sa tristesse, mais également un plaisir intense en compagnie de ces peintures qui nous interpellent .
Jusqu’au 11 février, à la galerie Ofoq, Musée Mahmoud Khalil. Rue Kafour, Guiza. De 10h à 14h et de 18h à 21h, sauf le vendredi.
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