Al-Ahram Hebdo : Comment est née l’idée ?
Lucien Bourjeily : D’un enchaînement de faits et de circonstances. J’ai voulu que mon premier film se déroule à la maison. Car c’est là que l’on grandit et que l’on reçoit ses premières idées. Avant d’entamer l’écriture, j’ai bien étudié les personnages, leurs réactions et leurs rapports ; j’ai vécu avec eux pendant plusieurs années. La famille est l’unité de base laquelle influence la nature de tout un pays. Le discours fanatique qui prévaut trouve ses origines à la maison, à travers des discussions tendues, autour d’un repas, parmi les membres d’une même famille, à titre d’exemple. J’ai voulu que le public se penche sur les racines de son fanatisme, qu'il y réfléchisse.
— Comment avez-vous procédé par la suite, notamment en ce qui concerne les dialogues entre les personnages, autour d’un repas familial, révélateur d’autant de problèmes ?
— J’ai d’abord élaboré une sorte de squelette, résultat d’un travail assez soigné. Ensuite, j’ai fait le casting. Et je me suis rendu compte que je devais retravailler les dialogues pour qu'ils aillent de pair avec le choix des comédiens. Et ce, dans le souci qu’ils soient assez vraisemblables et très spontanés. Je faisais tout le temps des modifications, jusqu’à la dernière minute, avant le tournage. Mais j’ai quand même laissé une place à l’improvisation, qui variait d’un personnage à l’autre. La conversation autour du repas a fini par paraître tout à fait naturelle : deux qui parlent entre eux, alors que les échanges autour du repas et la fête se poursuivent, etc.
Je n’ai pas eu recours à un fond musical, mais les silences étaient comblés par les bruits de la pièce : sons de radio provenant de la cuisine, brouhaha d’enfants qui jouent …
— Quelles étaient vos craintes ?
— Je voulais que tout se passe bien et que le film devienne réalité. Je voulais trouver un financement, mais je voulais surtout que les comédiens jouent en harmonie, que le décor corresponde à l’ambiance convoitée … Bref, que tout soit réaliste, sans prétention, ni maniérisme.
— N’avez-vous pas pensé que d’aucuns puissent le comparer au film italien Perfect Strangers de Paolo Genovese ?
— Non, je n’y ai pas pensé ; heureusement, sinon j’allais paniquer ou prendre les choses très à coeur, pour éviter toute éventuelle comparaison. Sans doute, on subit tous l’impact de telle ou telle oeuvre, ceci est normal. Notre travail est souvent le résultat de tant de cumulations.
— Avez-vous filmé les séquences dans l’ordre ?
— Oui, effectivement, j’ai suivi le même ordre paru dans le film. J’ai caché également les trois dernières pages du scénario pour que les acteurs restent dans le suspense, ne sachant pas qui était le voleur entre les divers protagonistes. Je voulais que la tension se fasse sentir sur écran, que les acteurs transmettent vraiment le côté énigmatique aux spectateurs.
— Le film évoque la crise de confiance parmi les membres d’une même famille. Ne trouvez-vous pas que c’est l’un des fléaux du monde arabe ?
— Cette crise de confiance traduit un autre problème assez profond dans nos sociétés : on est toujours dans l’émotion, on réagit avant de penser. On est dans une logique inversée. Ainsi, les réalités se perdent, les relations s’intoxiquent, les sentiments de haine et d’injustice se cumulent et on parvient à des fins catastrophiques.
— La première du film s’est déroulée au dernier Festival de Dubaï, l’accueil était-il satisfaisant pour vous ?
— Plus que satisfaisant. J’étais vraiment comblé. J’avais vraiment peur que mon film n’atteigne qu’une tranche avisée du public. Car c’est un film qui exige une grande concentration. Mais le nombre et l’intérêt des spectateurs ont démenti ma peur. Les débats étaient très profonds et enthousiastes.
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