Hamlet paradoxal, face à son oncle rongé par les remords.
(Photo:Bassam Al-Zoghby)
Hamlet, ce personnage tragique et perplexe de Shakespeare, peut-il nous faire rire ? Ce prince danois créé par l’auteur entre 1598 et 1601, et qui tout au long de la pièce shakespearienne se trouve partagé entre le désir de venger son père et le refus de tuer, peut-il changer de peau ? Et oui, dans une nouvelle version de la pièce intitulée Al-Sira Al-Holamiya (la geste aux traits indéfinis), donnée sur les planches du théâtre Al-Talia et signée par le dramaturge Al-Hassan Mohamad et le metteur en scène Mohamad Al-Saghir, Hamlet se transforme en un personnage de la Haute-Egypte, aux traits très caricaturaux. Le metteur en scène suit l’intrigue principale de l’oeuvre shakespearienne, mais il a choisi de faire baigner son spectacle dans le folklore de la Haute-Egypte et la tradition orale arabe de la geste hilalienne. D’où le titre Al-Sira Al-Holamiya (la geste aux traits indéfinis). Ainsi, la pièce débute par un mawwal (sorte de chant plaintif) interprété par un choeur et un orchestre, en djellaba de la Haute-Egypte. Ce mawwal introduit l’histoire de Harrass, un personnage passif, débile et ridicule, qui a rencontré le spectre de son père, l’ex-maire du village. Ce dernier était tourmenté d’avoir été tué par son frère et son épouse. Il incite donc son fils à le venger.
Dès le départ, Al-Saghir plonge son public dans un monde fantaisiste et caricatural, en ayant recours à la commedia dell’arte, au chant et à la musique. Il rompt avec l’ambiance tragique du texte original et ridiculise tous les détails. Misant sur la vive présence du comédien qui joue, chante et danse, il crée des personnages caricaturaux, jusqu’à l’exagération. Ainsi, Harrass est un homme débile avec une voix faible, qui agit comme les enfants. Le spectre du père est plutôt angélique, portant des ailes, mais affichant sa colère. Un homme déguisé en femme interprète le rôle de la mère, soit une femme voluptueuse. Ophélie se transforme en une villageoise naïve, Laërte est plutôt un villageois rappeur qui bouge et parle suivant le rythme.
Paysan débile
Les costumes et les accessoires, conçus par Héba Magdi, ainsi que le maquillage d’Islam Abbas, amplifient l’image de ces personnages caricaturaux. Des moustaches et des sourcils volumineux pour les hommes méchants, une perruque et des accessoires de formes arrondies contribuent à former un corps féminin gigantesque pour la mère, etc. Al-Saghir a divisé l’espace scénique en deux niveaux : le premier est celui où se jouent les scènes dramatiques, le deuxième, plus élevé, à l’arrière-fond du théâtre, est consacré au choeur et à l’orchestre. La troupe musicale formée par le compositeur, Mahmoud Wahid, se transforme en une bande de villageois qui jouent, chantent et contemplent les événements, en suçant des bâtonnets de cannes à sucre. Le metteur en scène profite quand même des diverses études effectuées sur Hamlet. Ayant bien digéré tout ce qui a été écrit sur ce personnage, il va plus loin en le ridiculisant, tournant en dérision son caractère légendaire. Il en fait le villageois obèse, débile et passif, le moustachu de grande taille qui aspire à la vengeance, et l’adolescent confus qui n’arrive pas à placer un mot ou à prendre une décision. Son comportement contradictoire fait rire. Et vers la fin de la pièce, il finit par tuer son oncle.
Transformer la tragédie de Hamlet en une comédie a été le grand défi de cette mise en scène d’Al-Saghir, dès le tout début. Mais c’est un pari réussi, rehaussé par une ambiance folklorique, musicale et joyeuse. Avec un Hamlet qui s’exprime en un dialectal de la Haute-Egypte.
Tous les soirs, à 20h30 (relâche le mardi) au théâtre Al-Talia, place Ataba.
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