Menha el Batraoui, meilleure interprétation féminine au Festival du film de Dubaï.
La cinéaste Hala Al-Koussi présente, à travers son premier long métrage Zahret Al-Sabbar (fleur de cactus), une expérience humaine et sociétale très égyptienne, dont l’aigreur perce sous une apparente douceur, qui mêle la suavité à l’amertume. Un beau film qui recèle une triste image de la réalité, mais s’achève sur un sourire, avec une grimace amusée.
A sa première projection au dernier Festival international de Dubaï, le film a soulevé un large débat, entre admirateurs et détracteurs, mais le prix de la meilleure interprétation féminine, qui a été accordé à Menha el Batraoui, l’une de ses principaux protagonistes, a tranché l’affaire. Il a en effet poussé plusieurs à revoir le film d’un autre oeil. Le seul prix qui a été récolté par l’Egypte cette année a été bien accueilli par l’ensemble des critiques et cinéphiles, qui ont salué la qualité de la prestation. Plasticienne à l’origine, Al-Koussi a accentué la valeur esthétique du film, bien soigné sur le plan visuel. Chaque cadre, chaque séquence constitue en quelque sorte un tableau magnifique, montrant l’intelligence de la réalisatrice quant au choix de Abdel-Salam Moussa comme chef de la photographie. Ce dernier se révèle être un « dessinateur de la lumière », se plaçant dans la lignée des grands directeurs de la photographie, Abdel-Aziz Fahmi et Ramsès Marzouq. Ce soin esthétique et la haute charge symbolique de certains plans, assez complexes parfois, rendent le film très particulier et subjectif. Il se place ainsi un peu au-dessus du spectateur ordinaire et multiplie les risques sur le plan commercial, car plaçant la barre très haut et misant sur une tranche de public spécifique. Pour mieux capter la scène des pleureuses, par exemple, il vaut mieux avoir une idée sur la tradition des pleureuses en Egypte Ancienne et les cérémonies funéraires antiques. Il en est de même pour la scène de la purification, vers la fin, issue des rites sabéens.
Film d’auteur classique
Al-Koussi s’impose en tant que réalisatrice grâce à cette oeuvre, dans laquelle elle montre une belle maîtrise de ses outils artistiques. Elle n’a fait que de bons choix, s’agissant du chef de la photographie, de l’ingénieur du son, du costumier et du casting. Et elle a excellé dans la direction des deux acteurs principaux, peu connus du grand public. Fleur de cactus est un film d’auteur classique, un genre qui a fait défaut ces dernières années, malgré plusieurs films écrits et réalisés par leurs créateurs, qui ne peuvent toutefois être classés sous l’étiquette « Cinéma d’auteur », vu leur légèreté.
Dans le métrage d’Al-Koussi, on finit par toucher au rythme intérieur des comédiens, pour faire un avec eux. La réalisatrice les met en communication avec les divers endroits, dégage la sensibilité qui en ressort, ce qui est habilement transmis au spectateur. Le personnage principal, Aïda, ou la fleur de cactus, est interprété par Salma Sami, une Egyptienne dans la trentaine, qui ressemble à plein d’autres et traduit leur crise existentielle et sociale. Elle oscille entre l’amour de la vie et la pesanteur du quotidien. Menha el Batraoui (dans le rôle de Samiha) et Aréfa Abdel-Rassoul (dans celui de la mère) sont deux autres fleurs de cactus. Elles débordent de beauté, d’énergie, mais aussi d’amertume et de défaite. Vaincues par la vie à plusieurs reprises, elles ont perdu de leur passion, mais continuent à se battre. D’où l’importance de la scène dans laquelle la mère et Samiha tentent de convaincre Aïda d’aller voir son amoureux et de le persuader de rester ensemble. Il en est de même pour la scène, très agréable, où les trois fleurs de cactus conversent ensemble, allongées sur la pelouse verte. De nouveau, une belle charge émotionnelle et esthétique.
Le film Fleur de cactus fait part de la colère de ces femmes, sans haine. Elles s’insurgent contre les problèmes économiques, sociaux ou politiques, sans en alourdir la construction dramatique. C’est là le défaut qui a souvent voué à l’échec d’autres oeuvres antérieures, devenues un exemple de vaines palabres artistiques. Al-Koussi nous promène dans les rues du Caire, où se mêlent beauté et laideur. Elle nous emmène dans les petites ruelles, où les conflits sont plus conviviaux. Le monteur, Michel Youssef, a bien saisi le sens voulu par l’auteur, lui qui vient du documentaire à la fiction, signant également son premier long métrage.
Même si le film évoque les différentes formes de l’oppression, parfois absurdes, il reste une belle oeuvre, chantant la liberté qui ne meurt jamais. L’ouverture sur l’autre nous permet toujours d’aller à la rencontre de gens magnifiques. On a l’impression que c’est le hasard qui nous mène vers eux, mais en fait, c’est le résultat d’un effort assidu, qui nous donne cette chance de tomber sur ceux qui nous ressemblent. Pour ce faire, il faut du courage, à l’instar des trois producteurs du film, qui ont décidé de partir à l’aventure et donner naissance à cette oeuvre portant leur âme, à savoir le producteur Hossam Elwane, le directeur de la photographie Abdel-Salam Moussa et la réalisatrice-plasticienne Hala Al-Koussi. Prochainement dans les salles. A ne pas manquer .
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