Volailles, animaux, musiciens,femmes auxformes généreuses, desêtres seuls ou à deux …Ihab Chaker anime tout un monde encouleurs et en parfaite harmonie. Larétrospective qui lui est consacrée àla galerie Ofoq passe en revuequelque 60 ans de carrière, durantlesquels le peintre et illustrateur derenom a marqué la mémoire visuelledu pays. Il s’agit, en quelque sorte,d’une épopée à suivre depuis lesannées 1960, que l’artiste décrit luimêmecomme suite dans le cataloguede l’exposition : « J’expose dequoi rendre notre vie plus belle, mettanten relief des aspects de notrehéritage qui peuvent nous aider àmieux supporter les paradoxes dumonde. Et ce, avec en tête de liste lamusique et les femmes. L’hommedanse, avec celles-ci, suivant lesbattements de son coeur avant devoltiger ». L’exposition présente unecentaine d’oeuvres, dont des peintures,des aquarelles, des esquissesau crayon, des bandes dessinées etdes dessins parus dans la presse, quel’on peut répartir en trois thématiquesprincipales marquantle parcours de l’artisteoctogénaire.
Famille des acrobates.
Dans un premier temps,on revisite les toiles deChaker représentant desmusiciens. Ceux-ci sonten extase, en état detranse, font un avec leursinstruments, mais peuventaussi laisser entrevoirun petit air maussadeet las. D’une certainemanière, ils ressemblentaux derviches-tourneurs,pris dans les tourbillonsdu mouvement qu’accentuel’illustrateur, épris detout ce qui bouge. Unvieux luthiste est assisavec un tarbouche sur latête, un costume et unecravate. Il appartient à untemps lointain et se livre àses Taqassim ou improvisations,comme le précisebien le titre. Un autre musicien, penchésur son luth, serre ce dernier avecbeaucoup d’amour ; il est en étatd’enségam ou d’harmonie, comme leprécise également le titre du tableau.Ensuite, il y a le joueur de mizmar,sorte de flûte orientale, peint à l’aquarelle,dans Duo. Ces toiles, datanttoutes des années 2000, montrent desmusiciens en action, sur scène ouailleurs. Certains ont l’air de chantertrès fort, de jouer avec leurs cymbales,de perdre parfois l’équilibre,mariant drame et comédie dans leurjeu et dans l’expression de leursvisages. Chaker s’oppose au rigorismedu XXe siècle. Il semble seréapproprier les objets réels et leuraccorder une dimension poétique quilui est propre.
Source de la musique.
(Photo:Ahmad Abdel-Kérim)
Il s’en dégage ainsi un« nouveau réalisme », comme il l’affirmelui-même, pour dénoncer lamédiocrité humaine. Ses oeuvresconstituent donc une forme de rejet,cynique et révélateur. Mais c’est unbeau rejet, tout en couleur. Un rejetqui nous aide à surmonter les difficultésde la vie, à rendre cette dernièreplus gaie. Et lorsque, parfois,ses personnages deviennent plus hargneux,à l’instar de ce clown enlarmes, on est pris de nostalgie.Il y aussi les femmes — musiciennes,rondelettes, charnelles, unebelle Source de la musique comme ledit bien le titre de l’une de ses toiles,qui montre une danseuse avec descymbales en main. Elle est quasimentnue, séduisante et érotique. SelonChaker, « le mouvement, c’est letemps ». Tout court, c’est la vie. Lespersonnages voltigent, suivant lesrythmes d’une musique qui ressort dutableau, de sa composition même.L’artiste semble peindre de petitesfables, et ce, avec une grande dextéritéet une incroyable imagination.
Femmes et acrobates
Le Hibou.
La deuxième grande thématique del’exposition est la femme, parfois lafemelle, à travers le temps. Celle-cichange de veste et de rôle, d’une toileà l’autre, en fonction des circonstances.Tantôt, c’est
La Vierge etl’enfant (1968), aux tons clairs etsereins, tantôt la paysanne aux formesplantureuses qu’il compare à une
Galette (2005), tantôt l’acrobate ducirque (1958), la Poupée du
mouled(1987), tantôt l’Africaine serrantdeux pastèques (1993). Ses personnagesféminins sont toujours en quêted’un protecteur, d’un vigil, que lepeintre représente parfois sous laforme d’un coq, parfois sous celled’un amant, d’un mari … Peu importehomme ou animal, l’essentiel, c’estqu’il est toujours là et en parfaiteharmonie.On s’introduitensuite dans un universplus enjoué, avecdes dessins pour lapresse et des illustrationspour enfants.C’est la troisièmegrande thématique dela rétrospective. A partirde 1956, Chaker afait partie de l’équipede la revue
SabahAl-Kheir, regroupantles dessinateurs lesplus doués et plusavant-gardistes del’époque.
Depuis, il apublié, dans ce magazine,plusieurs bandesdessinées ciblant surtoutles enfants, dont :Guil Télévesiongui(génération télé), GuilDichangui (générationparaboles), GuilElectroni (générationélectronique) et génération www.com.« Pour faire des oeuvres pour lesenfants, il faut surtout être un enfantdans l’âme », déclare Chaker, dont larétrospective contient aussi des dessinsqu’il a publiés dans le quotidienégyptien Al-Gomhouriya entre 1954et 1957. Ainsi, il a créé la série LaFamille du bahlawane ou des acrobates,mettant en scène des jongleurset des acrobates de tous les jours,ceux qui façonnent notre vie au quotidien,loin des arènes du cirque. Puis,en 1960, ce fut le tour d’une autresérie intitulée Forqoeloz (cricri), qu’ila publiée dans la revue hebdomadaireRose Al-Youssef. Sans oublier seslivres et ses pièces de théâtre pourenfants, dont les affiches sont égalementexposées, comme le livre LePetit Poucet au royaume des fourmiset la pièce Dokki Ya Mazika (que lamusique commence, 1967), mise enscène par son frère, le marionnettisteNagui Chaker. En 1972, l’illustrateurconçoit de A à Z une pièce de théâtreà succès, donnée en langue françaiseà Paris, au centre culturel Châtillon. Ils’agit d’Ebtessamati (mon sourire),qui lui a ouvert la voie d’une carrièreinternationale.
Jusqu’au 28 janvier, de 10h à 21h (sauf les vendredi et samedi). 1,rue Kafour, Guiza.
Focus sur Mélodies orientales
L’un des tableaux exposés à la galerie Ofoq, dans le cadre de larétrospective d’Ihab Chaker, a été sélectionné par le comité d’acquisitiondu Musée d’artmoderne égyptien pourfaire partie de sa collectionpermanente. Ils’agit de la peinture surbois Mélodies orientales,réalisée en 2009, quireprésente un violonistedans un style cubisteanalytique. L’artistepeint ainsi des objetsdécomposés et juxtaposésen une même compositionet avec desformes géométriques.
Les couleurs ternes etla composition ne sontpas sans rappeler lapeinture Broc et Violon(1909) de GeorgesBraque et Le Joueur deguitare (1910) dePicasso.
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