Al-Ahram Hebdo : Depuis combien d’années participez-vous au Panorama du film européen au Caire ?
Béatrice de Pastre : C’est ma seconde participation au Panorama, après avoir assisté aux activités du panorama en 2015, mais j’ai l’habitude de visiter l’Egypte tous les deux ans, puisque j’enseigne à l’Université Senghor à Alexandrie, dans un programme de masters.
— Comment est née l’idée de l’hommage rendu cette année aux frères Lumière et à Jean Rouch ?
— Il y a une exposition qui a été organisée en France sur les frères Lumière pour fêter les 120 ans du cinéma. Ainsi, on a pensé revenir un tout petit peu sur les films des frères Lumière, tournés en Egypte, dont les deux oeuvres sélectionnées et projetées durant cette édition du Panorama : L’Egypte en 1896 et La Palestine en 1896.
Quant à l’hommage rendu à Jean Rouch, on vient de fêter, le 31 mai dernier, le centenaire de sa naissance, donc notre idée était de montrer les images qu’il a tournées en Egypte. Ce ne sont pas des films complets montés en fait, mais des rushes de ses tournages, puisqu’il y a encore beaucoup de films de Jean Rouch en état de rushes. Le CNC a sauvegardé et restauré la plupart des quelque 180 films du cinéaste, dont la moitié était des films inachevés. On a rassemblé l’ensemble du matériel filmique au Centre national du cinéma, et depuis une dizaine d’années, on a commencé à collecter les documents et les scènes tournées par Rouch, qui étaient éparpillés ici et là, ou dans les laboratoires, ce qui nous a permis d’avoir une vision presque exhaustive de ses oeuvres.
Il avait toujours une pulsion et cette passion de filmer et de tourner. Il avait toujours une caméra avec lui, et dès qu’il rencontrait quelqu’un qui l’intéressait, il pouvait tourner une ou deux bobines, de quoi on a en fait des tas de documents et de matière tournée qui montrent son grand intérêt pour les gens et le tournage. Là donc, l’idée était de montrer ce qu’il a tourné sur des personnes vraiment intéressantes, dont l’architecte égyptien Hassan Fathi. Dans ce dernier document tout à fait étonnant, on sent l’intérêt de Rouch pour l’architecture, clair dans beaucoup de ses oeuvres. Un intérêt qui a été couronné par son film de montage nommé Urbanisme Africain, qui rassemble des fragments de ses différentes roches, car c’était l’une des caractéristiques en fait de Rouch, de réemployer ses propres oeuvres dans de nouveaux films. Voilà l’histoire des deux oeuvres projetées au Panorama : Hassan Fathi et architectes Ayorou.
— Quelle est, à votre avis, l’originalité de Jean Rouch ?
— Je pense d’abord que sa façon de filmer est tout à fait particulière ; on l’appelle le cinéma léger. C’est la légèreté du matériel qui le rendait proche de ce qu’il filmait en caméra 16 mm. Il était en effet impliqué dans tout ce qu’il filmait. C’est cette coprésence qui offre à son oeuvre cette grande empathie avec le monde qu’il tourne. Il ne pensait jamais à l’objectivité d’un réalisateur ; par contre, il croyait qu’on doit faire partie de toutes les perturbations du réel filmé.
— Vous venez de participer aux ateliers Dahchour, lancés par Marianne Khoury pour soutenir et développer les talents des jeunes artistes en Egypte. Qu’en est-il des ateliers que vous avez animés ?
— J’ai animé deux ateliers à Dahchour, d’après des sujets déterminés par la cinéaste et productrice égyptienne Marianne Khoury, fondatrice et responsable de ces ateliers. Je suis intervenue sur deux ateliers, dont un est autour de la création, avec des images archives sur la fabrication d’une bande son à partir d’un film muet. C’est un travail pédagogique et très impressionnant, vu que les participants venaient de différents horizons d’âge et de connaissance, ce qui a vraiment enrichi ces ateliers dont je trouve le résultat et le fruit bien importants l
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