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Gamil Shafik, un enchantement pour les yeux

Soheir Fahmi, Lundi, 09 octobre 2017

A la galerie Misr à Zamalek , à partir du 15 octobre, des oeuvres du peintre Gamil Shafik, décédé en 2016, sont exposées. Une rétrospective qui nous montre les trésors cachés de cet artiste.

Gamil Shafik, un enchantement pour les yeux
Le cheval, la femme et les yeux sont des constantes de Gamil Shafik.

Une année après sa mort, la galerie Misr, où le peintre Gamil Shafik avait exposé pour la dernière fois, lui prépare 3 exposi­tions rétrospectives, consécutives sur une oeuvre variée et où beaucoup de peintures sont exposées pour la pre­mière fois. Car Gamil Shafik, décédé en 2016, est un peintre exceptionnel. Cependant, sa modestie, l’importance qu’il accordait au travail, ses longues randonnées hors du Caire, notamment à la Côte-Nord où il avait élu domi­cile, ne lui ont pas permis de nous montrer les trésors qu’il cachait. D’ailleurs, ce peintre original et humain n’a exposé qu’en 1989, après la cinquantaine.

Auparavant, il faisait des dessins dans la presse, d’abord dans la revue Al-Taawon, destinée aux paysans. Il croyait que l’art devait parvenir au plus grand nombre et non pas être confiné à l’intérieur des quatre murs d’une galerie. Mais ses amis ébahis, surpris et admiratifs par la qualité et l’originalité de son tra­vail, le poussèrent à exposer. Il part alors de succès en succès. Cependant, il ne cesse de parcourir l’Egypte, et ressort avec un souffle qui lui est propre. Souvent, à travers ses dessins en encre de chine, et son monde en noir et blanc, il nous donne à voir un monde où la femme siège au centre de tout. Bien en chair, avec un corps bien présent, elle enlace son par­tenaire dans une relation, où amour, érotisme et profonde intimité se confondent. Quelques arbres participent à cette effervescence des sens et cet hymne à la vie. D’ailleurs, il n’y a jamais de scène chez Gamil Shafik où le monde est dépeuplé et où les êtres humains ou les animaux ne participent pas à un dialogue constant.

Les chevaux, grand thème de Shafik, ne sont jamais loin, ils s’élancent avec toute leur force et leur grâce dans un tourbillon de vie. Après la révolution de janvier 2011, il montre une pein­ture où un cheval tournoie et danse avec toutes ses forces dans un grand élan de liberté et une foule se presse au bas de la planche pour l’acclamer.Très proche de tout ce qui touche les sentiments de son peuple, Shafik s’est toujours senti en union avec les êtres humains. L’amour est au centre de ses planches, mais aussi ce grand besoin de s’évader, d’être indépen­dant et libre qu’il incarne dans les mouvements de tous ses chevaux, qu’ils soient seuls ou accompagnés d’hommes qui communient avec eux.

Une lumière à laquelle on ne peut échapper
Il arrive parfois que les formes se stylisent et s’élancent pour créer un visage qui se faufile discrètement. Les yeux revêtent alors une ardeur particulière. Proches alors des Portraits du Fayoum, ou des icônes chrétiennes, elles nous fixent et pénètrent au sein de nos âmes. Car il faut le dire, toutes les oeuvres de Gamil Shafik baignent dans une lumière dont on ne peut échapper.

D’ailleurs, l’homme avait également cette pro­fondeur modeste dans les gestes qui devait vous atteindre. Dans son isolement, sans être un soli­taire, il a enrichi son monde intérieur à travers la pêche, la cuisine ou ses récoltes de petits morceaux de bois, jetés par la mer qu’il ramas­sait sur la plage et refaçonnait en sculptures. Et la lumière se métamorphose en sphère de plus en plus large. Pourtant, Gamil Shafik ne se laisse pas uniquement porter par son intuition ou sa spontanéité, il travaille longtemps et beaucoup sur ses oeuvres.

Le résultat est sou­vent très fort. Il crée des peintures qui auraient pu être des sculptures ou des fresques murales. Dans des compositions très épurées, qui divi­sent parfois ses peintures en compartiments, où chaque pan a une histoire qui complète l’autre, il développe le détail. Il crée en général un monde parallèle entre rêve et réalité qui nous saisit très fortement. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard, s’il a, très tôt, lui, le fils d’une famille pauvre d’une petite ville du Delta, Tanta, choisi de faire des études d’art.

Dans une famille pour qui l’ascension sociale était liée à des profes­sions reconnues par la société comme la méde­cine ou l’ingénierie. Avec ténacité et sans vio­lence, Gamil Shafik revêt ses oeuvres et sa vie de cette aura de grands sentiments. Il fera éga­lement partie, comme le plus jeune membre, du groupe des Harafiche avec le prix Nobel, Naguib Mahfouz, et d’autres intellectuels qui se regroupaient une fois par semaine, dans un café, dans la bonne humeur et l’amitié pour débattre des choses de ce monde.

Cette exposi­tion de Gamil Shafik a le mérite de nous laisser voir le monde d’un peintre très original, qui aurait dû être visionné par le monde entier, mais qui a voulu, avant toute chose, travailler en silence sans chercher la célébrité démesurée. Espérons que le plus grand nombre de jeunes viendront à la découverte de ce monde de lumière, qui ne ressemble à aucun autre.

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