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Une série tout en finesse

Soheir Fahmi , Mardi, 13 juin 2017

Dans le feuilleton télévisé Wahet Al-Ghoroub (l’oasis du coucher), adaptation du roman de Bahaa Taher, la réalisatrice Kamla Abou-Zikri nous offre une oeuvre originale alliant nostalgie et tristesse, un périple fascinant et des images de toute beauté.

Une série tout en finesse
Les images mettent en relief la beauté du site.

En 2008, Bahaa Taher sort son superbe roman Wahet Al-Ghoroub (l’oasis du coucher) aux éditions Al-Shorouk. Il est couronné du Prix Booker pour le roman arabe. Kamla Abou-Zikri, par l’intermé­diaire de la maison de production Al-Adl Group, transforme, avec la scénariste douée Mariam Naoum et une équipe de talentueuses personnes, ce roman aux événements et aux lieux et espaces qui nous semblent différents de ce qu’on est habitué à voir durant le mois du Ramadan, en une série télévisée où l’image est l’élément majeur d’un monde qui, tout en suivant de près les événements du roman, s’en éloigne par des techniques visuelles.

Bahaa Taher a choisi pour son roman une époque historique qui se situe aux alentours de la fin du XIXe siècle, au moment de la révolu­tion d’Ahmad Orabi qui a été avortée et qui s’est soldée par la colonisation de l’Egypte par les Anglais. Deux officiers de police, Mahmoud Abdel-Zaher et Talaat, participent avec enthou­siasme aux événements. Ils sont soumis à une enquête par leurs supérieurs anglais après l’échec du soulèvement durant lequel les Egyptiens et eux aussi ont vu poindre une ère nouvelle d’indépendance et d’autonomie. Ils essayent chacun à sa manière d’échapper au procès militaire. Talaat nie complètement les faits, alors que Mahmoud reste mi-figue, mi-raisin. Mahmoud est retardé dans son avance­ment et exilé en tant qu’officier général à Siwa. C’est une punition sous les dehors d’une pro­motion. Surtout qu’il a pour tâche de récolter les impôts au profit des Anglais aux habitants de Siwa parfaitement démunis.

Il fait un périple fastidieux et dangereux, accompagné de sa femme irlandaise Catherine pour rejoindre l’oasis de Siwa. Dans cet espace complètement original, Kamla Abou-Zikri, ainsi que Nancy Abdel-Fattah, directrice de la photographie, vont choisir des cadrages et un rythme qui épouse la cadence des sables du désert et les différentes heures du jour ou de la nuit qui nous offrent un monde qui semble monotone, mais qui permet l’émergence du bouillonnement et des remous du monde inté­rieur des personnages. Nous restons fascinés par ses images qui déclenchent un sentiment profond de beauté.

A travers le périple, Mahmoud ne cesse de ressasser un passé où la trahison, l’échec, les rêves et les désirs qu’on n’a pu capter le harcè­lent. Dans cette épopée entre passé et présent, entre révolution et impuissance, Kamla Abou-Zikri utilise des citations du livre, mais surtout capte les expressions du visage, le jeu de la lumière et baigne son monde dans la beauté des vêtements de Rim Al-Adl, qui frappent par leur justesse et leurs couleurs aux tons des habitants de ce monde isolé. La musique de Tamer Karouan ajoute une touche indispensable pour nous offrir la complexité de ce monde, dont la sérénité apparente laisse percer les querelles des habitants de Siwa entre les gens de l’est et ceux du nord, et cette violence sourde faite de nostal­gie et de tristesse qui habite tous les person­nages sans exception.

La mort comme protagoniste principal

Une série tout en finesse
Sayed Ragab excelle dans le rôle du soldat démuni.

Mariam Naoum a choisi un récit linéaire qui se projette quelquefois dans les histoires des gens des oasis. Taher, lui, avait choisi le récit à plusieurs voix pour permettre aux personnages de s’exprimer en profondeur. La mort, comme protagoniste principal, est omniprésente dans les deux récits. Par quelques bribes de récits et des images de tempête ou de longue nuit d’in­somnie, la caméra de Nancy Abdel-Salam furète dans les âmes qui ne peuvent atteindre le repos et qui s’essoufflent en attendant une mort libératrice.

Dans les décors de Fawzi Al-Awamry, les détails et la précision font de chaque scène un tableau qu’on aimerait revisionner. Dans ce travail méticuleux, nous sommes loin des séries télévisées et des gesticulations exagérées des comédiens pour pallier la faiblesse d’un travail construit à la hâte qui regroupe tous les clichés.

Ici, le jeu des comédiens est tout en finesse et en discrétion, la souffrance de l’âme et les moments de la vie se succèdent dans un mouve­ment qui s’apparente à ce désert, calme en apparence, mais qui n’a jamais livré tous ses secrets comme le déclare le guide du convoi qui en meurt. Tous les comédiens sont à saluer, de Khaled Al-Nabawi qui a su incarner ce person­nage à l’âme troublée avec beaucoup de maî­trise et de discrétion, à Ménna Chalabi dans le rôle d’une jeune femme irlandaise qui semble être une native de ce pays. Il y a également Sayed Ragab, le policier démuni, mais qui sait comment répondre aux ordres, Ahmad Kamal dans le rôle du cheikh Yéhia, sage et perspicace mais démuni devant un monde qui va à sa perte. Et tous les autres et ils sont nombreux, mais plus spécialement la jeune comédienne jorda­nienne Rakim Saad et la très talentueuse Siham Abdel-Salam dans son rôle de servante dans la maison de Mahmoud Abdel-Zaher. Un petit rôle qu’elle a su vêtir de l’aura des premiers rôles.

Toutefois, nous aurions aimé voir et entendre les habitants de Siwa parler leur dialecte au lieu du dialecte égyptien. Ou au moins parler un langage proche de celui des habitants actuels de Siwa. Une entreprise difficile certes, car elle aurait demandé beaucoup de connaissances et un long apprentissage.

Cependant, le travail que nous présente cette équipe talentueuse d’après le roman du grand Bahaa Taher est un plaisir qui perdure, car il touche à tous les sens. Sans exception .

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