Chacun s’attendait à avoir sa version des faits.
Pas mal de téléspectateurs attendaient la suite de l’histoire analytique de la confrérie des Frères musulmans, présentée par La Confrérie II, soit la deuxième partie du feuilleton du même titre, écrit par Wahid Hamed. Ce dernier, étant l’un des scénaristes qui se sont attaqués le plus à la question islamiste, relate les 80 ans de la confrérie, fondée dans les années 1920 par Hassan Al-Banna, et son rapport aux pouvoirs successifs. D’où l’importance de cette production colossale, regroupant plusieurs grands noms de la scène dramatique arabe, dont Sabrine (dans le rôle de Zeinab Al-Ghazali, la femme à poigne de la mouvance islamique), Abdel-Aziz Makhyoune (le successeur d’Al-Banna), Mohamad Al-Bayaa (interprétant le roi Farouq de manière assez mûr) et Donia Maher (l’une des cadres féminins de la confrérie).
Nous suivons de près les divers tournants de la confrérie, sa place au sein de la rue égyptienne, son instrumentalisation par l’Occident, jugeant que sa présence aide à amortir d’autres courants radicaux plus violents. Contrairement à ce qui est souvent de coutume, dans ce genre de production, le feuilleton aborde la période nassérienne avec une grande subtilité, loin de tout penchant propagandiste. Wahid Hamed a eu recours à tout un groupe de chercheurs qui ont creusé dans quelque 40 ouvrages de référence, historiques et politiques, rédigés par des auteurs de tout bord. Du coup, la version des faits, présentés par le scénario, incite le public à aller chercher plus loin, pour découvrir en quelque sorte que l’histoire politique du pays se répète constamment à plusieurs niveaux. Et le plus étonnant, comme montré dans le feuilleton, est que personne n’apprend la leçon et que tout le monde continue à commettre les mêmes erreurs : les régimes successifs se servaient toujours des forces islamistes pour battre leurs adversaires, et ils finissent par se faire brûler les ailes. Bref, ils ont utilisé la religion pour atteindre des fins politiques.
Cette deuxième partie est réalisée par Chérif Al-Bendari, succédant à Mohamad Yassine qui avait signé le premier tome. Et, Al-Bendari a bien relevé le défi. Ses cadres sont bien mesurés, esthétiques, et les séquences tournées en noir et blanc donnent merveilleusement un effet d’ancienneté. Le décor, les accessoires, le mixage, le maquillage, la musique, tout est parfaitement agencé, afin de mieux reconstituer une époque. Les dialogues sont intelligemment écrits.
Subtilité
Chacun des personnages s’exprime différemment, respectant sa ligne dramatique, dans un langage qui lui est propre. De même, le scénariste réussit à prendre distance par rapport aux évènements ; il ne s’implique pas trop mais parvient à passer en revue tant de dates, de personnages et d’incidents, sans que le spectateur perde la boussole.
Ce souci d’objectivité de la part de l’auteur lui a tout de même valu pas mal de controverses à base idéologique. Chacune des parties concernées s’attendait à ce qu’il présente les faits conformément à sa version, d’où les multiples accusations qui lui sont adressées. Les Nassériens jugent qu’il est pro-Frères musulmans, alors que ces derniers le taxent de « propagandiste, travaillant pour le compte du régime au pouvoir ». Et les partisans du Néo-Wafd accusent le scénariste de nuire à leur organe politique et d’avoir perdu la tête.
Cette colère qui monte contre Hamed, alors que le feuilleton n’est encore qu’à ses débuts, est une victoire en soi, à un moment où la polarisation politique bat son plein. L’auteur a voulu en faire un document historique de valeur qu’il lègue à la postérité, un document riche dramatiquement et très bien réalisé sur le plan artistique.
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