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L’art de faire revivre le passé

Névine Lameï, Lundi, 15 mai 2017

Pour fêter le centenaire de l'artiste Sayed Abdel-Rassoul, la galerie Ofoq I lui consacre une exposition qui retrace les étapes de son parcours artistique.

L’art de faire revivre le passé

En célébration du 100e anniversaire de l’artiste-peintre Sayed Abdel-Rassoul (1917-1995), la galerie Ofoq I accueille une belle exposition rassemblant les oeuvres qui ont marqué son parcours artis­tique, entre les années 1950 et 1990. Cet artiste pluridisciplinaire a de tout temps puisé son inspiration dans le patrimoine égyptien, avec des motifs pharaoniques, coptes, islamiques et notamment folkloriques, tout en leur accordant une touche moderne qui lui est propre.

A l’entrée de la salle d’exposition, les oeuvres de Sayed Abdel-Rassoul, variant entre poteries, peintures et gravures, sont harmonieusement agencées. L’ensemble miroite une image authentique de l’Egypte, le berceau de civilisations remar­quables. Ces oeuvres de Abdel-Rassoul abondent de signes, de formes géométriques, d’ornementa­tions, de motifs populaires ... Il est évident que le retour aux sources a permis au plasticien de renouveler constamment son art. Un art qui défie le temps passé et l’instant pré­sent et qui plonge dans le quotidien.

Ses peintures mettent souvent en scène des protagonistes, hommes et femmes, notamment des villageois à la posture pharaonique. Ils sont sveltes, comme un obélisque dressé vers le ciel. Portant des jarres ou des paniers de paille, entourées de colombes ou d’autres motifs popu­laires, ses protagonistes femmes, en djellabas, bariolées et portant des boucles d’oreilles typiquement égyptiennes, ont quelque chose de mystérieux. Toujours en attente, éva­sives et tristes, ces villageoises par­tagent souvent des scènes festives, avec des hommes à cheval, bâtons en main. De quoi dégager un esprit che­valeresque, rappelant les beaux jours du héros mythique, Antar Ibn-Chaddad (poète arabe préislamique du XIe siècle).

Abdel-Rassoul est de même réputé pour les scènes de duo homme/femme. A travers eux, il évoque le passé glorieux du pays, tout en les plaçant dans un contexte d’au­jourd’hui, sans vraiment perdre espoir. « Cet artiste, très connu notamment dans les années 1950 et 1960 en Egypte, était très influencé par l’Occident, par le postmoder­nisme et par l’expérimentation très en vogue parmi ses pairs. Lors de ses études en Italie, il n’a jamais perdu de vue son identité égyptienne et son multiculturalisme. Ses oeuvres recèlent un langage universel, un humanisme qui va au-delà des fron­tières », fait remarquer l’artiste Khaled Sorour, directeur du secteur des arts plastiques en Egypte, dans le catalogue de l’exposition de Abdel-Rassoul.

Le noir et blanc

L’art de faire revivre le passé
Des scènes festives, avec des hommes à cheval.

L’artiste a parfois l’air de raconter des contes, de reprendre des textes épiques, lesquels ont peuplé son enfance. Issu d’une famille venue des Oasis, dans le désert occidental égyptien, Abdel-Rassoul est par contre né au Caire fatimide, préci­sément dans le quartier de Gamaliya, celui de Naguib Mahfouz. C’est peut-être la raison pour laquelle il a acquis, très jeune, une richesse visuelle, propre au pays. D’où une aptitude à nous déplacer facilement d’un milieu à l’autre, d’un décor à l’autre, sans que l’on soit dépaysé. Il évoquait dans ses oeuvres des scènes de campagne, comme d’autres issues des ruelles cairotes ou des fêtes foraines célébrant un saint, de noces et de processions soufies, etc. Abdel-Rassoul a été d’ailleurs le premier artiste égyptien à peindre la poupée populaire, celle du mouled, normalement fabriquée en sucre, pour fêter l’anniversaire du prophète. Ses ornementations, parfois assez denses, ne sont guère en conflit avec le reste de la toile. Cela paraît de manière plus claire dans ses gravures en noir et blanc, assez expressives. Elles sont décrites par le critique artistique Sayed Héweidi, dans son livre L’Artiste Sayed Abdel-Rassoul, publié en 2015 par l’Organisme général du livre : « Certaines d’entre elles ne sont pas sans rap­peler les dessins picturaux que l’on retrouve sur les murs de sa ruelle à Gamaliya, ce quartier fut un vrai théâtre pour son art infantile ».

Il faut surtout rappeler que Abdel-Rassoul est né deux ans avant le déclenchement de la Révolution de 1919, avec tout le nationalisme égyptien qui s’en dégageait. Pour lui, il n’a jamais été question de débattre le colonialisme de manière directe, cependant, il a toujours favorisé les thématiques très égyp­tiennes. C’était sa façon de partager l’esprit révolté de tout un peuple à l’époque. Voici des scènes représen­tant des pêcheurs en bateaux à voile croisant le Nil, une famille rurale, l’idylle de Hassan et Naïma, ou encore l’histoire pharaonique d’Isis et d’Osiris.

Les gravures sur zinc de Abdel-Rassoul constituent davantage un drame lyrique où tout baigne dans une ambiance champêtre, très cohé­rente, géométriquement étudiée. D’ailleurs, la campagne a toujours été son monde privilégié, à même de lui inspirer les plus brillantes compositions artistiques. Mais c’est une campagne qui ressemble plutôt à une ville utopique, à l’âme très égyptienne.

Issues de la terre

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Les Porteuses de jarre.

Les poteries de Sayed Abdel-Rassoul incarnent, elles aussi, des paysannes porteuses de jarre, des joueurs de bâtons, des joueurs de rebab, des vendeuses de légumes, etc. Elles mettent en scène un coq, un chat, un oiseau, dont les formes sont issues de l’héritage visuel du pays. L’impassibilité des visages et leur gravité ne peuvent passer ina­perçues. On est souvent face à des créatures qu’il place quelque part entre l’humain et le divin. Il leur préserve un petit air majestueux, pharaonique, les dote d’un cachet abstrait, en estompant les détails. Ils ont vécu à un moment donné en Egypte, mais continuent aussi à interagir avec son quotidien. Bref, ils n’appartiennent pas à un autre temps, mais portent le poids du passé l

Les 17 et 18 mai, à la salle Ofoq I, annexée au Musée Mahmoud Khalil. 1, rue Kafour, Guiza. De 10h à 14h, et de 18h à 21h (sauf le vendredi)

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