Trois semaines se sont écoulées rapidement avec les activités de cette septième édition du Festival D-CAF pour les arts contemporains. Beaucoup de spectacles présentés sur les planches ou dans les rues ont vu une vive et réelle interaction du public. Celui-ci a découvert une nouvelle forme de théâtre en rupture avec les formes traditionnelles. Il est devenu le héros des spectacles et a pu s’y infiltrer.
Sur les planches du théâtre Al-Falaki, la troupe espagnole de Roger Bernat a offert au public une grande surprise à travers le spectacle Le Sacre du printemps. Avec une chorégraphie de Pina Bausch et une musique d’Igor Stravinsky, Bernat a créé une version plus libre. Il impose au public de jouer, danser et incarner son sacre du printemps. Ainsi, debout sur les planches, les spectateurs portaient des casques et suivaient littéralement les ordres dictés par une voix machinale en arabe ou en anglais. Ils écoutaient attentivement, obéissent aux ordres et s’adonnaient au jeu. « J’aime cette troupe théâtrale. L’an dernier, ces artistes espagnols ont joué avec le public à travers la projection vidéo dans leur spectacle Numax Fagor Plus. Cette année, je découvre leur nouvelle aventure », lance Injy avec un grand sourire avant de commencer.
Le public, divisé en deux groupes, a commencé par écrire sur des tableaux en arrière-fond quelques mots comme : l’aube, la colline, la forêt … Des mots qui servaient à implanter dans sa tête le décor nécessaire pour le sacre du printemps. Sur la musique de Stravinski et selon les ordres dictés à travers les casques, les spectateurs interprètes ont formé avec leurs postures, leurs marches et leurs mouvements une chorégraphie simple qui traduit les rites de fêter le printemps et qui reflète aussi une histoire d’amour entre Warda et Sameh, deux caractères imaginaires. Le metteur en scène, derrière son petit ordinateur, faisait passer ses ordres et manipulait bien une foule d’interprètes sans expérience. Le drame a avancé. Les spectateurs marchaient, couraient et sautaient. Ils s’allongeaient sur les planches, ouvrant les bras, etc. Pour certains d’entre eux, le jeu était exhaustif. Quelques-uns se retiraient et continuaient à suivre ce qui se passait tout en gardant les casques sur les oreilles.
« Partout en Europe, le public aujourd’hui achète des billets, non pas pour suivre et regarder un spectacle intéressant mais pour en faire partie. Il cherche à s’approprier la scène et jouer. Cela lui permet de se découvrir », lance Laurence Rondoni, chorégraphe française qui suivait les activités de D-CAF. Elle ajoute : « Je suis vraiment émue de voir des gens ordinaires qui s’adonnent complètement au jeu et qui s’expriment aisément. Peu importe s’ils connaissent l’histoire ou ne la connaissent pas. Ce qui compte c’est l’expérience elle-même. Cette expérience peut bien pousser ces gens à découvrir le sacre du printemps, googler un peu sur les diverses chorégraphies ou écouter Stravinski et ses oeuvres, etc. ». L’expérience était certes inoubliable pour les participants.
Inciter le public à réfléchir
Sur le toit du centre Al-Jameel, au campus grec de l’Université américaine du Caire à Bab Al-Louq, a été donné Lookout. Il s’agissait d’une performance interactive de 20 minutes. Chaque spectateur avait un petit haut-parleur et contemplait le centre-ville et son état chaotique du toit d’un immeuble. On entendait la voix de la petite Nour de 9 ans. Sa petite voix décrivait Le Caire, ses rêves, les voitures qui volent dans un ciel bleu, le grand Nil, etc. Mais une fois ce récit narratif et descriptif achevé, Nour a fait son apparition sur le toit. Elle s’est approchée du spectateur et lui a posé des questions qui paraissaient simples mais assez provocatrices. « Résumez Le Caire par une seule couleur ? ». « Quel site du Caire préférez-vous ? », « Comment décrire l’avenir ? », « Que faites-vous pour l’Egypte ? ». De nouveau, le spectateur avait recours au haut-parleur et écoutait de nouveau la voix de Nour âgée de 60 ans. Cette fois-ci, elle présentait les fantasmes et les images d’une vieille femme dans un pays ruiné par les catastrophes. Et de nouveau, des questions … Durant 20 minutes, le spectacle amène le spectateur ailleurs. « L’idée de cette performance est beaucoup plus profonde qu’on imaginait », lance une dame après son expérience. « Les questions m’ont poussée à réfléchir autrement et à fouiller au fond de moi-même. J’attendais simplement à voir Le Caire et le centre-ville et à parler de la vue panoramique que nous offre le plus haut bâtiment de l’Université américaine à Tahrir », lance une jeune fille en souriant.
Vers plus de liberté et beaucoup de contact direct avec le public, les shows Square One, Blocks et The Birds’s Murmuration ont fait appel à des danseurs et des handicapés égyptiens. En plein air et dans la cour de Qaïtbay, dans la cité des morts, des danseurs et des interprètes sur des fauteuils roulants dansaient et impliquaient le public dans leurs spectacles. Cela fait partie du programme « Visions urbaines » du festival qui vise à découvrir des espaces nouveaux de la ville, encourager les artistes à s’exprimer librement dans la rue et attirer les gens ordinaires aux formes d’art contemporain. Le public agissait avec enthousiasme, bougeait avec les danseurs, applaudissait et suivait avec une grande passion les spectacles. La danse et l’art sont faits pour tout le monde.
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