Des couleurs qui coulent sur le tableau comme un fleuve tranquille.
(Photo:Bassam Al-Zoghby)
La rétrospective de Britt Boutros Ghali est une plongée dans une spirale de couleurs. La peintre du haut de ses 80 ans a su garder sa fraîcheur et sa vivacité au fil des ans. Et c’est la grande gageure de cette artiste norvégienne installée en Egypte depuis 40 ans. Cette rétrospective couvre d’ailleurs ses années passées en Egypte. « Avant de venir ici, j’avais déjà fait plusieurs expositions à travers le monde. A ma première exposition à Paris, j’avais 21 ans ». Britt a gardé sa jeunesse créative mais aussi sa ligne de travail basée sur l’art abstrait. Elle a participé au mouvement de l’art abstrait européen dans les années 1960 et 1970. Souvent classées par les catalogues comme étant de l’abstract expressionism, mouvement américain né du mouvement de l’art abstrait européen, ses oeuvres dégagent un hymne à la vie et à la beauté. Et elle se classerait mieux sous le label de l’art abstrait lyrique. Car dans les oeuvres de Britt Boutros Ghali, il y a beaucoup d’énergie mais aussi une musicalité plastique qui lui est propre. Ces couleurs qui ont l’air de couler sur le tableau comme un fleuve tranquille se mélangent puis se séparent au gré de ses coups de pinceau bien chargé de peinture. « Je viens du nord de la Norvège et je suis baignée des aurores boréales ». La nature est le premier artiste, elle seule peut décliner à l’infini sans aucune retenue formes et couleurs. Ce nord de la Norvège, avec ses montagnes austères et imposantes et ses maisons dont le reflet se noie dans l’eau, est effectivement là dans les oeuvres de Britt. Et l’Egypte alors ? « En Egypte c’est la chaleur humaine. C’est plutôt l’intérieur de l’Egypte qui m’inspire que les choses qu’on voit ». L’Egypte c’est quand ces oeuvres déclinent des personnages à peine perceptibles pris dans un mouvement de danse mythique et parfois dans une spirale de mi-joie, mi-tourmente.
C’est surtout ces portraits de femmes où Britt quitte le monde de l’abstraction pour s’engouffrer dans le figuratif. Le décalage entre ses deux techniques de travail est grand. Ses portraits où ses femmes ressemblent à des poupées de petites filles font ressortir son côté enfant qu’elle n’a apparemment pas laissé tomber. « J’adore la décoration, la mode et dans ces portraits je me laisse aller à coller des strass, des colliers et toutes sortes d’accessoires ». Les femmes ont toutes le même sourire, contenté et énigmatique plein de douceur, mais aussi d’une certaine malice, « elles savent quelque chose que je ne sais pas, elles disent tout ira bien ». Et puis il y a ce regard qui renvoie à leur force. Elles sont calmes, sûres d’elles, fortes sans être agressives, belles sans être aguichantes. Elles ont l’air de porter des bagages qu’on ne voit pas. Britt, en peignant ces femmes encore et encore, a saisi l’âme de l’Egypte. « Les femmes égyptiennes sont beaucoup plus fortes que les norvégiennes », lance Britt.
Au fil de sa carrière Britt Boutros Ghali s’est imposée comme l’une des figures importantes de l’art abstrait. En 1996, elle a été décorée de l’Ordre de Saint Olav, la plus haute distinction norvégienne. Dans son atelier sur le bord du Nil, elle continue de travailler quotidiennement, « tous les jours jusqu’à trois heures de l’après-midi », en se balançant entre des toiles abstraites où les couleurs explosent comme des larves de volcans et des toiles figuratives où des femmes reviennent sans arrêt différentes et en même temps toujours les mêmes. Cette rétrospective qui couvre ses quarante années de vie en Egypte, à raison de deux tableaux pour chaque période, nous replonge dans le monde coloré et explosif de la peinture de cette chaleureuse artiste et nous offre le temps d’un voyage haut en sensations. L’art abstrait est d’abord et avant tout un art de sensations .
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