Dans ses deux nouvelles expositions montées simultanément à la galerie Machrabiya au centre-ville cairote, et à la galerie Soma Art, à Zamalek, l’artiste-peintre Hani Rached, 42 ans, partage avec le public deux phases complètement différentes de sa vie. D’une part, à Machrabiya, l’artiste peint avec beaucoup de mélancolie, de colère, d’imaginaire, de sauvagerie et d’absurdité des années d’instabilité et de confusion pendant lesquelles Rached est resté très influencé par la mort de sa petite soeur. D’autre part, à Soma Art, l’artiste se sent moins inquiet, beaucoup plus stable. D’où des peintures plus calmes, joyeuses et enfantines. Des peintures qui libèrent son créateur de sa complexité et de son sentiment de culpabilité à l’égard de sa soeur de 11 mois. Elle est morte entre ses mains, à cause de la négligence médicale à l’hôpital. « Mes peintures mixed media à Machrabiya font appel à moi en tant qu’artiste dominé par l’esprit de ma soeur morte il y a 24 ans. D’où un art de chagrin, de colère et de révolte. Ceci était clair dans l’ensemble de mes précédentes expositions qui trouvaient grand plaisir à dénoncer le contexte sociopolitique, né d’une révolution en mouvement. J’ai tant travaillé en 2012 le personnage de caricature idéal d’Assahbi (jargon populaire qui signifie : ô mon ami), et qui porte la voix de la contestation échangée par les jeunes sur Facebook. J’ai travaillé en 2015 sur le thème du Bulldozer, un personnage qui détruit tout ce qu’il déteste en Egypte, pour dénoncer la médiocrité ambiante et l’absence de progrès », déclare Hani Rached.
Pour mettre fin à sa colère d’artiste à la fois sarcastique, ironique et rebelle, Rached laisse volontairement pour la dernière fois la personne de sa soeur hanter son art. A Machrabiya, la soeur de l’artiste est peinte comme une sorcière aux longs cheveux noirs, ou encore comme un mauvais esprit sur fond de couleurs grisâtres, ténébreuses et sombres incrustées de taches rouge sang. Ces dernières donnent à l’ensemble des peintures collages de Rached un effet terrifiant et répulsif. « Cette série de peintures collages à Machrabiya est travaillée sur papier en plastique », déclare Rached. D’ailleurs, après avoir dépeint ses motifs sur l’envers du plastique, Rached colle de l’autre côté des photos d’insectes, de chiens, de mains de monstres, de cactus, d’un bébé qui pleure, d’un cordon ombilical, d’un arbre stérile, d’une mère dans le néant, d’une montre qui marque le temps, d’une infirmière, d’un squelette, d’un crâne. Autant d’images, de dessins logos, d’icônes populaires empruntés à la période de la Renaissance italienne dans une réinvention ludique de la réalité. Le tout collecté ici et là sur le site Internet Google et agencé d’une manière spontanée mais très ordonnée, comme dans un jeu de puzzle qui rappelle le pop art et les graffitis audacieux.
Un Rached différent
A Soma Art, Hani Rached vise à démolir l’ancien douloureux pour construire le nouvel enchanté. L’artiste refoule ses obsessions et se libère de ses craintes, avec une quiétude surprenante qui rompt toute ambiguïté et tout désordre. « Pour arriver avec mon art à cet état de confiance en soi, de paix intérieure et de calme, j’ai choisi de passer par des séances de traitement psychologique qui m’ont beaucoup servi. Néanmoins, l’élément indispensable auquel je ne peux pas renoncer dans mon art, c’est la répétition d’un même motif », confirme Rached, dont l’art n’est plus qualifié de « conceptuel, sophistiqué et philosophique ». C’est plutôt un art qui use des traditionnelles techniques de peintures, pour refléter une certaine nostalgie, celle des années 1970, du bon vieux temps de son enfance, tout en gardant une vision moderniste. A Soma Art, Rached crée tout un monde spontané et très coloré, non sans rappeler les comics et bandes dessinées revisitées de manière originale par le kitch. D’où une certaine quiétude, palpable et perceptible, comme dans un carnaval pour enfants, aux couleurs feutres et vivantes. Rached est lui-même protagoniste de son exposition à Soma Art. On voit Rached, détendu seul sur sa chaise, entouré intimement de sa mère et de son père, sur son cheval à bascule en bois, et à côté de sa soeur entourée d’un ange. On le voit aussi en boxeur enfin capable de combattre et de défier sa peur.
Jusqu’au 20 avril, de 10h à 21h (sauf le vendredi), à Machrabiya, 8 rue Champollion, centre-ville. Et à Soma Art, 14 rue Mohamad Maraachli, Zamalek.
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