Voici aujourd’hui toute une série de chanteurs égyptiens qui se produisent en la langue des Beatles et qui connaissent un public assez large. Ces artistes qui chantent en anglais sont principalement des groupes de rock, rap et blues.
Certains sont décomplexés quant à l’idée de chanter en anglais. L’idée n’est sans doute pas récente. Quand l’Egypte était cosmopolite, jusqu’à la première moitié du XXe siècle, elle embrassait des genres d’arts et de cultures assez variés comme elle accueillait des langues diverses. Ainsi, des groupes étrangers faisaient escale au Caire ou à Alexandrie, pour donner leurs spectacles aux étrangers résidants, mais aussi aux Egyptiens cultivés à l’européenne.
Il était donc normal de voir certains chanteurs égyptiens qui décident d’interpréter en langues étrangères tels le français, l’anglais ou l’italien. Rappelons-nous les années 1960, de Karim Choukri avec Take me back to Cairo, de Samir Al-Eskandarani qui a chanté Never let me go, composée par Abdel-Wahab, qui a participé lui-même à la chanson en interprétant un seul couplet en arabe, ou encore d’un groupe comme Les Petits chats qui s’est épanoui vers la fin de cette décennie. Conçu par toute une génération comme une fenêtre sur les chansons occidentales, surtout avec les sièges imposés par le nationalisme nassérien, ce groupe a disparu en 1980 et n’a repris ses concerts qu’en 2009.
La philosophie Pink Floyd

Andromida, représentant de Pink Floyd en Egypte.
Aujourd’hui, malgré le changement sociopolitique survenu en Egypte, le phénomène est de retour, surtout avec autant d’artistes qui déclarent allégrement que leur culture musicale est essentiellement anglo-saxonne.
Andromida (inspiré du nom de la galaxie la plus proche de la terre) est peut-être la plus ancienne parmi les groupes actuels qui chantent en anglais. Né en 1987, ce groupe, qui a commencé surtout par jouer du blues, du rock progressif et classique, est devenu le spécialiste de Pink Floyd. « Pink Floyd est non seulement un groupe de musique qui donne des chansons hors du commun, mais c’est plutôt toute une culture, une philosophie, sinon, pour certains à l’étranger, une religion », explique Amr Hassan, fondateur du groupe. Parolier et joueur de clavier, il n’a jamais pensé à écrire en arabe. « Il existe déjà pas mal de groupes underground qui chantent en arabe. Je ne suis pas contre les paroles en arabe. Chanter en anglais n’est pas une revendication. Simplement, écrire m’est plus facile en anglais qu’en arabe. Je n’avais que choisir entre deux alternatives, soit interpréter mes propres chansons ou réinterpréter Pink Floyd pour être le premier, sinon le seul groupe voué à réinterpréter les chansons d’un autre groupe ». Hassan choisit la deuxième alternative, après avoir réalisé un succès fou auprès des fans de Pink Floyd.
Manque de salle
Au théâtre en plein air de l’Opéra, à Saqiet Al-Sawi, à Darb 1718, Andromida ne cesse de chercher des endroits pour donner ses concerts. Un problème en soi. Car si leur public était une centaine il y a dix ans, il a dépassé les milliers aujourd’hui. « Les jeunes d’aujourd’hui ont davantage de moyens que les générations plus âgées d’accéder à certains standards musicaux anglo-saxons et de se faire une large culture musicale, rock notamment ». Ainsi, un public de tout âge se retrouve attaché à ce groupe, malgré une interruption « forcée » en 1997, à la suite du procès du satanisme : les autorités avaient simplement interdit ce genre de concert, liant leur musique à la secte satanique. Par ailleurs, à partir de l’an 2000, le succès d’Andromida ne cesse de croître. « Impossible de tenir nos concerts sur les planches du théâtre en plein air dépendant de l’Opéra. Faute de place, on cherche d’autres endroits avec un espace plus large ».
En effet, les salles de concert s’avèrent un problème commun. Ihab shawi, lui aussi, explique qu’avec des salles comme celle du théâtre en plein de l’Opéra du Caire ou The Room, le nombre d’auditeurs restera relativement réduit, faute de places. Un autre problème fait surface, les obligeant à rester toujours sur Le Caire : « Il est difficile de donner des concerts sur les planches de l’Opéra d’Alexandrie, à cause du budget restreint de ces groupes », ajoute Shawi.
Un public limité ?

Ihab Shawi est toujours friand des oldies.
Ancien élève des Jésuites et titulaire d’une licence d’études théâtrales de l’Université américaine du Caire, Shawi chante surtout les
oldies dont le public appartient à une tranche d’âge relativement avancée. «
Pourtant, des jeunes commencent à assister à mes concerts, surtout que les nouvelles vagues de chansons ne sont pas aussi belles que les anciennes. Avec le Youtube, ces jeunes découvrent une mine intarissable de chansons classiques qui sont parfois même réarrangées »
, explique-t-il. Et d’ajouter : «
Pour garantir un public assez large, je chante parfois aussi Farid Al-Atrach et Mohamad Fawzi dont la musique est très bien travaillée et ne vieillit jamais »
. Shawi approuve l’idée que chanter en anglais donne certaines limites à son renom. Toutefois, ceci rend son public assez distingué. Un avantage en soi, selon Noha Qaïs, surnommée Minnie l’égyptienne ; puisque c’est elle qui a été sélectionnée par la société
Disney pour prêter sa voix à Minnie, dans sa version arabe.
Qaïs, titulaire d’une licence de lettres allemandes, est aussi membre du groupe Sobhi and Friends. Vouée à son tour à réinterpréter les oldies, son public appartient à une tranche d’âge différente. C’est plutôt les personnes âgées et celles ayant plus de 40 ans qui se montrent vivement intéressées. « Et pourquoi pas ? Ce qui compte le plus pour moi, c’est d’être en face d’un public qui apprécie l’art que je présente. Un public relativement limité, mais de bon standing vaut mieux qu’un large public qui ne vous respecte pas », souligne Qaïs, qui avoue avoir une autre expérience en solo dans l’un des restaurants, où elle donnait des chansons classiques, accompagnée de sa guitare. « Je me retrouvais devant un public qui était en train de manger et de boire, et avait envie de danser et non pas de savourer la musique. Une ambiance qui ne me convient pas du tout, alors j’ai laissé tomber ». Mais chanter dans la langue de Shakespeare n’est-ce pas participer à ce formatage mondial qui voudrait nous faire croire qu’en dehors de l’anglais point de salut ... ? « Non, pas du tout. L’idée est beaucoup plus simple que cela. C’est plutôt une bonne occasion pour ceux qui ne savourent que les chansons classiques anglaises, d’assister en live et dans leur pays à ce genre qu’ils préfèrent », réplique-t-elle.
Langue et musique du monde

Al-Husseini préfère le rap en arabe
Hossam Al-Husseini voit par contre qu’avoir un large public est important. Ayant fondé plusieurs groupes de rap interprétant en anglais, il considère que «
l’art dépasse l’idée de faire plaisir. Il faut instruire à travers le message qu’il transfère au plus large public »
. Ainsi annonce-t-il qu’il ne va jamais reprendre l’expérience de chanter en anglais. «
Chanter en anglais, c’est être destiné à 5 ou à 10 % des Egyptiens »
. Mais est-ce que le genre de la musique se prête mieux à l’anglais qu’à l’arabe ? «
Absolument pas. Le problème n’est plus au niveau de l’arabe, mais c’est plutôt au niveau de ses usagers. Rappelons-nous un groupe comme Solassi Adwaä Al-Masrah
qui a connu un succès fou dans les années 1960. Il chantait du rap en arabe »
, fait-il remarquer.
Né à Londres, Al-Husseini est fils de Magdi Al-Husseini, célèbre joueur de clavier du temps de Abdel-Halim Hafez. Ainsi, il a appris à savourer les chansons arabes classiques aussi bien que les nouvelles vagues des chansons occidentales, surtout le rap, qui était très à la mode dans les années 1990. Après avoir fondé deux groupes : Ghetto Pharaohs (de 1994 à 2000) et Arabian Knights (de 2001 à 2009), Al-Husseini s’est mis à écrire et à composer des chansons qu’il a interprétées en solo ou bien avec d’autres chanteurs. « J’ai écrit la première chanson que Tamer Hosni a interprétée en anglais : Come back to me. On a été même primé aux Pays-Bas dans l’un des festivals de chansons », indique-t-il. Toutefois, Al-Husseini a mis fin à la vie de ses groupes, signalant qu’il n’allait point chanter en anglais. Problème de production ?
« Les producteurs … ça ne les intéresse pas tant qu’il n’y a pas de chansons en arabe ». Un avis partagé par tous ceux qui chantent en anglais.
Par ailleurs, Al-Husseini conçoit que « l’anglais ne servirait qu’à l’international, mais dans son propre pays, il vaut mieux recourir à sa langue maternelle. La force d’une chanson est toujours dans ses mélodies, mais aussi dans son texte. Pourquoi interpréter des chansons en anglais pour un auditoire arabophone ? ».
En effet, cette tendance semble être universelle. En France, un groupe comme Pony Pony Run Run ou une chanteuse comme Izia chantent en anglais et ont connu, cependant, un grand succès. Un phénomène pareil semble dire que le temps serait peut-être celui du chant en anglais, la langue mondiale du pop.
Vague pop sur la toile
L’été dernier, de jeunes chanteurs entre 16 et 30 ans se sont imposés par leurs productions musicales postées sur Facebook et Youtube. Il s’agit d’Arabish, dont le nom est issu de la fusion entre arabic et english.
Fondé en 2015 par Waël Nasr, ce groupe est composé de Zeina Al-Chazli, Habiba Zahran, et Omar Al-Farouq. Avec un nombre qui dépasse les milliers de visiteurs sur Youtube, ce groupe a débuté essentiellement en réinterprétant les chansons pop américaines qui ont fait tabac comme celles d’Ed Sheeran, ou de Sia, ou encore des groupes comme Magic.
Leur premier album El-Naharda Séhit Men Al-Nom (aujourd’hui, je me suis réveillé), regroupant uniquement des chansons arabes, vient de sortir il y a une semaine sur le site Anghami. D’ailleurs, ces jeunes semblent intégrer facilement des influences occidentales, notamment issues de la pop américaine ; cela se fait entendre à travers leur musique et leur façon d’interpréter même lorsqu’ils chantent en arabe.
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