En répétition, le chorégraphe franco-espagnol Toméo Vergès et sa compagnie de danse Man Drake, fondée en 1992, poursuivent leur travail artistique à la frontière du théâtre et de la danse. Ils préparent actuellement au studio Emadeddine, dans le centre-ville cairote, leur nouveau spectacle Anatomia Publica (anatomie publique), à l’occasion de la 2e édition du Festival D-CAF (Festival international de création contemporaine pluridisciplinaire, du 4 au 28 avril).
Le point de départ d’Anatomia Publica est le corps. Le décor composé d’une maison, d’un mur et d’une porte reste inchangé pendant 50 minutes, la durée de la performance.
Trois danseurs font apparition sur scène, deux hommes et une femme : Sébastien Laurent, Julien Lacroix et Sandrine Maisonneuve. Ils sont unis par le même langage chorégraphique intense et surréaliste. Celui-ci est surtout inspiré du travail du cinéaste expérimental Matin Arnold et de ses films faits de pannes, de soubresauts, de courts-circuits.
D’un mouvement saccadé et répétitif, les trois danseurs jouent sur scène. Les corps semblent hystériques, compulsifs ... Soudain, ils se figent et se trouvent prisonniers d’un espace virtuel (marqué par le son hypnotique du tic-tac d’une horloge).
Anatomia publica se base essentiellement sur un travail de « décomposition du geste », précise Toméo Vergès, fils de boucher et médecin. Le monde de ce dernier était donc fait de viande et de chair. Cependant, il ne s’agit pas là d’une leçon d’anatomie où l’on dissèque un cadavre sur scène, où l’on explore un corps. « Il s’agit plutôt de dévoiler ce qui se trame en dessous de la surface apparente de nos actes. Comme le scalpel ouvre les chairs et donne à voir les viscères, la déconstruction et la décomposition gestuelle du corps révèlent les strates qui composent une action », déclare Vergès dont l’Anatomia Publica est nourri d’éléments autobiographiques. « N’ayant aucune nouvelle depuis le départ de mon grand-père à la 1re guerre espagnole, ma grand-mère a dû épouser un autre homme. Un an après le retour de mon grand-père, encore vivant, lui, ma grand-mère et son second époux décident de vivre ensemble », ajoute Vergès. Une « drôle » histoire, entre fascination et répulsion, que Vergès a voulu disséquer, avec comme outil, la décomposition du geste des trois protagonistes d’Anatomia Publica. Et ce, à travers leur manière de s’asseoir, de discuter, de siroter un café, de s’embrasser, etc. « Anatomia Publica révèle l’absurdité du monde, tout en mettant l’accent sur une étrangeté inquiétante », indique Vergès.
Visions urbaines
Toméo Vergès propose également pour le Festival D-CAF une recherche d’autres formes chorégraphiques. Cette fois-ci, il donne « hors plateau » (joué dans la rue ou dans un appartement clos), Traffic et Que de bonheur. Ce sont des chorégraphies conçues à l’issue d’ateliers de théâtre « thématique », animés par Vergès en novembre 2012, au studio Emadeddine. « La confrontation des corps à d’autres espaces ouverts contribue à déplacer le regard, nourrir l’imaginaire et créer des poétiques du corps », souligne Vergès. Traffic traite essentiellement des problèmes de circulation et du chaos en Egypte. La performance installe d’ailleurs le spectateur face à quatre interprètes égyptiens qui, tels des robots, essayent de régler, en vain, à l’aide d’un sifflet et de petites voitures pour enfants, le problème de la circulation.
Que de bonheur nous fait partager les cris de deux femmes, l’une orientale et l’autre occidentale, se posant des questions sur la condition féminine et le droit de la femme à la liberté. Partant d’une même phrase, répétée en arabe dialectal : Ana sett (je suis une femme), les deux interprètes dévoilent, à travers leurs monologues successifs, leurs désirs et rejets au sein d’une société masculine. Sandrine Maisonneuve, elle, se fait plutôt porte-parole de la femme occidentale, à qui on demande d’être toujours belle. La danseuse fait des allers-retours incessants, et lorsqu’elle tente de sortir de la trajectoire qui lui est imposée, elle reçoit à chaque fois des électrochocs.
Anatomia Publica, les 4 et 5 avril, à 20h, au théâtre Falaki, rue Al-Falaki.
Traffic, le 5 avril, de 14h à 16h, face à la Bourse. Et le 7 avril, de 15h à 16h, à l’Immeuble Kodak.
Que de bonheur, le 6 avril, de 14h à 16h, à l’Hôtel Viennoise, rue Champollion. Et le 7 avril, de 18h à 21h (le lieu de la performance reste à déterminer).
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