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Ecouter les voix du balcon

May Sélim , Lundi, 02 janvier 2017

Afin de mieux faire entendre la musique aux gens de la rue et leur faire parvenir un art dit « élitiste », la troupe Teatro a présenté l’opéra Le Balcon, dans un ancien bâtiment du centre-ville cairote. La performance sera prochainement en tournée en Haute-Egypte.

Ecouter les voix du balcon
En robes de chambre et pyjamas, la chanteuse et les musiciens font comme à la maison. (Photo:Bassam Al-Zoghby)

« Attention, vous cachez l’entrée de ma boutique ». « Que faites-vous dans la rue ? ». « Vous bloquez la circulation ». « Où sont les autorisations nécessaires ? ». Les commentaires pleuvent en tous les sens, ceux des propriétaires de magasins, des piétons, des gendarmes et des responsables municipaux qui interviennent chaque fois qu’un artiste veut se produire dans la rue. Omar Al-Moataz Bellah et les membres de sa troupe Teatro ont voulu donner un spectacle musical dans la rue sans vraiment occuper l’espace public ou s’attirer les foudres des autorités. Que faire alors ? Ils ont décidé de monter un spectacle du haut du balcon d’un ancien bâtiment du centre-ville, situé au premier étage. Ainsi, ils étaient dans la rue, sans vraiment y être. De quoi leur éviter des problèmes avec la police.

A proximité de la Bourse égyptienne, trois musiciens font apparition sur une terrasse, habillés en robes de chambre et pyjamas. La soprano, avec les cheveux en bigoudis, commence à chanter un air d’opéra. D’une voix aiguë, elle attire l’attention des passants à l’aide d’un crescendo. Le public curieux suit cette voix céleste et s’arrête sous le balcon. Un homme qui achète des chips pour son fils dans un kiosque change subitement de route pour profiter du chant. Une vieille dame, en noir, s’assoit sur le trottoir d’en face. Les enfants qui jouent au football suspendent leur match. Sans même comprendre un mot de l’opéra italien, on applaudit la belle voix qui chante et la musique jouée. Un enfant répète : « Encore une fois ». Et c’est là que la soprano change de style pour interpréter plutôt un répertoire très diversifié de hits anglais, français et arabes. Les voisins, tout autour, se mettent eux aussi sur leurs balcons. Certains filment la scène avec leurs téléphones portables, etc. « Je cherche à emmener la musique et le chant lyrique jusqu’au public ordinaire, loin des milieux intellectuels qui fréquentent l’Opéra et les salles de théâtre », lance le metteur en scène, Omar Al-Moataz Bellah. Son initiative remonte à 2010, lorsqu’il avait monté l’opéra Backstage, sur les planches de la Petite salle de l’Opéra du Caire. « Durant les jours de préparation, je prenais un taxi pour l’Opéra. Une fois, un chauffeur m’a demandé ce qui se passait à l’intérieur de ce bâtiment, bien gardé. Je l’ai alors invité à assister au spectacle auquel je devais assister, mais il a refusé. Il a dit que les gens qui allaient à l’Opéra sont différents et qu’il avait peur d’approcher ce milieu élitiste, avec des gens sophistiqués. J’ai décidé de préparer une performance pour lui », raconte-t-il. Avec les membres de Teatro, dont les deux sopranos Maïssa Ornessa et Amira Réda, il a créé en 2012 un show regroupant des extraits de Backstage, au musée Mahmoud Mokhtar. Le metteur en scène avait utilisé la cour du musée et ses statues comme décor principal de son opéra. Il voulait le présenter ensuite à Ezbet Al-Margouchi, dans le quartier de Choubra Al-Kheima. « Mais à la dernière minute, le spectacle a été annulé pour des raisons sécuritaires. Les agents de police craignaient la réaction des habitants, dans une zone si démunie ».

Des artistes en pyjamas
L’initiative Mahattat pour l’art contemporain, qui vise à répandre l’art dans les différents espaces publics, a entendu parler du projet et a voulu nous aider à le concrétiser. Après de longues discussions, l’opéra Le Balcon a vu le jour en 2015. Les premières du spectacle ont eu lieu à Port-Saïd, à Damiette, à Mansoura et à Guiza. L’initiative Mahattat s’est engagée à nous fournir un support logistique, à prendre la permission des locataires et des propriétaires, à obtenir les autorisations sécuritaires nécessaires, etc. Omar Al-Moataz Bellah a choisi un balcon assez lumineux, toujours au premier étage, pour être plus proche des gens de la rue. « Souvent, les interprètes sont debout. Le piano guide le chant de la soprano, même s’il est impossible de le placer sur le balcon. Les musiciens présents sont plutôt le violoniste, la chanteuse et le percussionniste. En tenues de maison, ils interprètent des chansons arabes simples et d’autres plus classiques. Ce mélange rend la performance plus accessible à tous ; On n’a pas l’impression que ces artistes viennent d’un autre monde. Ils doivent ressembler à des personnes qui fredonnent quelques airs chez eux », explique le metteur en scène. En chantant, les artistes tiennent des verres de thé ou encore arrosent des plantes. Ils ont l’air tout naturellement sur leur balcon. Après le succès de la performance au Caire, Le Balcon sera prochainement en tournée à Sohag, Minya et Qéna.

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