Les palmiers se dressent, seuls, sur la toile.
« J’ai été longtemps passionné par la nature de Dahchour et surtout par la huppe. Je l’ai dessinée sous toutes ses formes et j’ai été profondément pris par la beauté de la nature qui m’entourait. Puis, j’ai voulu retrouver un monde nouveau », dit Ahmed Abdel-Karim qui a trouvé dans le XIIIe siècle, durant la période abbasside, le trésor où il a puisé sa nouvelle exposition.
Il découvre Yéhia Ben Mahmoud Al-Wasti, de la ville de Wasset, sur les rives de l’Euphrate en Iraq. Ce peintre, dont l’oeuvre est préservée à la Bibliothèque nationale en France, a dessiné des miniatures pour décorer les Maqamat d’Al-Hariri. On le considère comme le premier peintre islamique à avoir signé ses oeuvres. D’origine arménienne, ayant voyagé à travers plusieurs continents, ce peintre original a su créer un monde stylisé où les dessins constituent un monde à part, parallèle au texte d’Al-Hariri. Abdel-Karim dialogue alors avec le monde d’Al-Wasti. Il puise dans son héritage culturel, à la recherche de données favorisant un dialogue contemporain. Sur un mur de la galerie, les oeuvres d’Al-Wasti sont reproduites et les peintures de Abdel-Karim, puisant son élan vital chez ce peintre abbasside, sont exposées sur les autres murs de la galerie. En reprenant les deux personnages principaux des miniatures d’Al-Wasti, à savoir : Hareth Ben Hammam et Abou-Zeid Al-Sourougui, l’artiste contemporain crée un monde parallèle avec d’autres données pharaoniques, islamiques et modernes. La huppe y est toujours présente ainsi que les éléments favoris de Abdel-Karim, comme le palmier, l’âne, le poisson et le bateau. Il les mélange au monde ancien d’Al-Wasti, en utilisant les techniques modernes et multiples des couleurs modernes. Ainsi, dans une miniature, le guerrier est sur son cheval. Il arrive tout droit de l’époque d’Al-Wasti, mais il est entouré d’un monde en couleurs, se détachant sur un fond de petits dessins miniaturisés ainsi qu’un jet qui ressort de la terre. L’ensemble offre une nouvelle perspective. D’autres fois, le petit âne d’Al-Wasti est tout seul sur la planche, mais son corps est bariolé de branches d’arbres. Il se confond avec la nature. Sans métamorphoser le monde d’Al-Wasti, Abdel-Karim dialogue avec lui. La nature enrichit les miniatures de couleurs variées et fortes. Les deux protagonistes sont ensemble dans un monde de verdure et d’animaux mythiques. Ils sont tous les deux dans une position statique, mais le monde autour d’eux livre ses mystères et ses non-dits. Souvent les navires naviguent entourés de bleu de toute part ; la mer et le ciel se confondent. Comme un petit sourire humoristique, des poissons symétriques arrivent tout droit de notre patrimoine populaire. D’autres fois, une barque, qui semble pharaonique, se perd dans des eaux houleuses ocre qui remontent à la nuit des temps. On ne sait pas si c’est Al-Wasti ou Abdel-Karim qui nous interpelle. Un navire porte un cheval dans une originalité de couleurs turquoise.
Des chameaux et 2 coeurs
La nature toujours présente est quelquefois laissée à elle-même. Sans personnages, des palmiers ou des portes recouvrent la planche avec les senteurs d’antan. Les chameaux, eux, ont une place de choix. Ils sont accompagnés d’êtres humains ou dans des rangées symétriques, toute en beauté. Des chameaux au lieu de porter des personnages portent deux coeurs comme le symbole de ces amoureux d’Al-Wasti. Ils nous disent en secret leur amour. Les dessins de chameaux sont d’Al-Wasti, mais le monde qui les entoure est de Abdel-Karim. Tous les deux créent un monde féerique. Sous des arbres tout blancs comme une fresque ancienne, un prédicateur, sans doute Al-Sourougui, parle à ses disciples. Les taches de couleurs claires se démarquent de la couleur ocre. On plonge dans le XIIIe siècle avec les senteurs du XXIe siècle. Des danseuses sont éparpillées sur certaines planches, offrant des moments de plaisir ludique qui rappellent l’ère pharaonique. Cet hommage à Al-Wasti qu’a voulu Abdel-Karim est un moment de grand plaisir pour les yeux. Dans cette épopée, nous avons l’occasion de visionner le monde de nos ancêtres qui se confond avec notre monde, avec respect et art. Ahmed Abdel-Karim, ce peintre qui ne cesse de fouiner dans la richesse de notre patrimoine, a le mérite de nous présenter une exposition qui nous apprend des pans de notre histoire, dans un monde tiraillé par la violence.
Jusqu’au 9 janvier, à la galerie Zamalek de 10h à 21h (sauf le vendredi). 11, rue Brésil.
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