Al-Ahram Hebdo : Pourquoi avez-vous décidé de transformer le roman du journaliste Ibrahim Eissa en film ?
Magdi Ahmad Ali : L’emprise des nouveaux prédicateurs sur la société égyptienne m’a toujours préoccupé. Dans tous mes films précédents, il y avait au moins une scène où un personnage affrontant un cheikh ou une autorité religieuse, comme dans Ya Dounia Ya Gharami (ô la vie ma passion). Je suis souvent en colère, trouvant que l’Etat, les intellectuels notamment ceux de gauche, ne s’attaquent pas suffisamment à ce phénomène qui relève, à mes yeux, du fascisme religieux.
— Ton idée de base était-elle donc de critiquer les nouveaux prédicateurs ?
— J’ai voulu critiquer le discours religieux prévalent, tout court. Mais pour le faire, il faut aussi proposer des solutions alternatives. Je n’ai pas cherché à diaboliser l’homme de religion qui prétend détenir la vérité, mais à montrer ses paradoxes et ses souffrances.
— La censure avait quelques remarques sur votre film ... non ?
— La plupart de ces remarques étaient en rapport avec la manière de montrer les divers organismes de l’Etat. Il y avait également d’autres remarques concernant l’image du cheikh dans le film. Mais grosso modo, la censure n’avait d’objections radicales. Du coup, le film est autorisé à être projeté commercialement, pour un public de plus de 12 ans.
— Pourquoi certains personnages ont-ils paru un peu flous ?
— Vous faites probablement allusion au personnage interprété par Sabri Fawaz. Ce genre de personnage, proche des sphères du pouvoir ou de la présidence, est souvent un rôle assez flou dans la réalité. Il n’a pas un titre officiel, mais dispose de beaucoup de pouvoir.
— Le film accuse-t-il directement le régime Moubarak d’avoir fomenté l’explosion de l’église des Qédissine (des saints), à Alexandrie, en 2011 ?
— Ce n’est pas une accusation du régime de Moubarak, mais une manière de confirmer que nous sommes tous responsables de cet incident fâcheux : ceux qui répandent des idées fanatiques, ceux qui n’ont pas combattu ces idées ou ceux qui se sont contentés de les contourner et les autorités qui ont laissé les extrémistes se servir des mosquées en tant que tribunes. Bref, tous ceux qui se sont tus ou ont essayé de faire avec. Moi-même je me considère comme l’un des responsables de cette explosion, comme pas mal d’autres intellectuels égyptiens, lesquels se sont montrés très tolérants à l’égard des mouvements islamistes. Nous ne devons pas attendre l’avènement d’une catastrophe pour réagir.
— Comment avez-vous préparé le comédien Amr Saad à ce rôle, très différent par rapport au reste de sa filmographie ?
— Il a de tout temps été un artiste très proche des petites gens et de leurs soucis. Il suit bien tout ce qui passe autour de nous et dévore les livres. Il est aussi sans doute un très bon acteur. Saad avait peur d’accepter ce rôle tout au départ ; il craignait d’être rejeté par la grande majorité, refusant de critiquer un homme de religion. Cependant, j’ai réussi à le réconforter.
— Le film présente surtout un conflit autour du pouvoir, entre plusieurs hommes. Les protagonistes sont essentiellement masculins ...
— J’ai respecté la nature du conflit. Je n’ai pas voulu m’éparpiller, en dessinant plusieurs autres lignes dramatiques secondaires. Peut-être que si l’on transforme le roman en un feuilleton de plusieurs épisodes, on peut se permettre d’étoffer plus de détails. Au départ, je comptais en faire un feuilleton télévisé, ensuite j’ai vite trouvé le financement nécessaire pour tourner un film, et ce fut ainsi.
— Il vous a fallu un budget colossal pour regrouper ce nombre de comédiens dans une même fiction. Qu’en est-il du budget ?
— Plusieurs comédiens étaient persuadés de l’importance de l’oeuvre et ont dû participer gratuitement ou en contre-échange de cachets symboliques.
— Mawlana (notre seigneur) sera le début d’une collaboration avec Ibrahim Eissa annonce-t-il une nouvelle veine ?
— Oui effectivement, nous nous sommes mis d’accord sur plusieurs projets d’adaptation. Les textes littéraires de Eissa sont assez attrayants. Ils se caractérisent par une grande clarté, de l’audace et un humour poignant. Il est vraiment capable d’assimiler les faits historiques et de les transformer en un drame bien ficelé, du genre peu fréquent dans la littérature arabe.
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