La musique expérimentale est-elle un milieu exclusivement masculin ? La réponse pour ces filles-musiciennes est certainement négative. Asmaa Azouz, Ola Saad, Jacqueline Georges et Hagar Massoud partagent pas mal de dénominateurs communs : d’abord, elles sont toutes licenciées de la faculté de la pédagogie artistique et sont disciples d’Ahmad Bassiouni, maître assistant à cette même faculté, spécialiste de l’art des médias, qui s’est éteint durant la révolution du 25 janvier 2011. En outre, elles n’appartiennent pas à cette catégorie de filles qui, pour accéder à la notoriété, tirent profit d’un réseau de relations publiques assez puissant ou d’un parrainage. Et elles ne jouent pas non plus sur leur physique.
L'ordinateur leur facilite non seulement l’enregistrement des sons, mais aussi la création de leur musique « concrète », en apportant une plus grande précision dans le travail de montage. Car on peut couper la bande sonore, recoller les morceaux et faire le mixage. Plusieurs ordinateurs pourraient être installés pour créer des voies de mixage synchronisées entre elles. Ainsi, autant d’opérations sont possibles : variation de vitesse, lecture des sons à l’envers, etc.
Ce genre de musique n’occupe pas de place importante en Egypte et est plutôt dominé par des artistes hommes, malgré sa présence sur le champ artistique depuis 1944 gâce à Halim El-Dabh.
Ce dernier est considéré comme le précurseur des travaux de manipulation sonore commencés cinq ans plus tard par le Français Pierre Schaeffer, qui a lancé ce qu’il a appelé le courant de la musique concrète. Mais quels stéréotypes ces artistes féminines espèrent-elles démolir ?
« L’art dans toutes ses formes devrait être un moyen qui répond aux besoins de l’homme. Quand l’homme primitif avait décidé de dessiner dans sa cave, ce n’était pas par désir de faire de l’art, mais c’était plutôt par désir de s’exprimer .… Ainsi, il a réussi à faire un pas en avant pour comprendre son soi aussi bien que son entourage. L’art, pour moi, est aussi cet espace à atteindre pour se retrouver », explique Jacqueline Georges, qui va bientôt soutenir son magistère sur l’art et les jeux électroniques interactifs.
Asmaa Azouz, quant à elle, pense que les barrières des genres commencent à faiblir du côté du public. « La question pour le public n’est pas du tout : qui joue ? Mais c’est plutôt ce qu’il joue ». Le problème demeure donc au niveau de la perception de ce genre de musique.
Un genre qui s’oppose à la musique « abstraite », selon le terme de Schaeffer. Alors que cette dernière exige une écriture des lignes mélodiques, la musique concrète repose essentiellement sur l’enregistrement des sons de l’environnement avant de passer aux processus de montage et de mixage.
« Il s’agit de savoir que le son est capable de transmettre des idées aussi bien que du visuel .… l’idée de voir des choses différentes dans les bruits, la voix des hommes, etc. », souligne Jacqueline Georges.
Pour sa part, Hagar Massoud voit les choses autrement. « Le vrai problème est l’enseignement dans le domaine de la musique expérimentale : malheureusement, en Egypte, il n’existe pas d’académies pour les arts contemporains. Tous ceux qui travaillent dans ce domaine sont des autodidactes », fait-elle remarquer. Et d’ajouter : « L’idée des métiers masculins dépend de l’éducation et de l’image que l’on se fait de la femme dans la société. Même en Europe, la discrimination existe. Or, les femmes artistes ont commencé à faire des cercles alternatifs pour publier leurs musiques ».
Cependant, Asmaa Azouz affirme que la présence de plateformes de partage comme Soundcloud, réunissant des artistes de tendances différentes, mène à ce que les différences ne se soient plus sur le genre, mais sur le son.
Soutien matériel
Ola Saad, quant à elle, n’a pas eu de problèmes relatifs au genre de musique qu’elle a choisi d’adopter. Bien au contraire, sa famille l’a soutenue, même si elle juge son art « un peu bizarre ». Le vrai problème était plutôt d’ordre matériel. Car la musique électronique repose essentiellement sur l’usage de la technologie de l’enregistrement. « En tant qu’artiste, je suis censée non seulement penser et expérimenter, mais aussi trouver des moyens de commercialisation et de distribution ... », indique Jacqueline Georges.
Ces jeunes femmes-musiciennes partagent aussi une vive reconnaissance à l’égard de Mahmoud Refaat, le producteur musical qui a eu le courage de financer leur premier album en 2013, intitulé Musique expérimentale par des artistes égyptiennes. Il s’agit d’une compilation réunissant huit bandes de huit artistes femmes. « Refaat est non seulement un producteur, mais également un musicien doué. De quoi expliquer sa grande sensibilité et son désir de relever ce défi. Il a pris le risque de nous aider à nous faire une place sur la scène musicale », lance Asmaa Azouz. Même si ces musiciennes sont encore dans l’ombre sur le plan local, elles ne cessent de se produire à l’étranger, ayant animé plusieurs concerts en Norvège, en France et à Londres, devant un public étonné de découvrir que ce genre d’art est passionnément interprété par des femmes égyptiennes.
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