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Les oubliées de Nezlet Choubek

Najet Belhatem, Lundi, 08 août 2016

Zig Zig est une pièce qui s’apparente au théâtre documentaire. Elle met en lumière un fait vieux de cent ans sur des femmes égyptiennes violées par des soldats britanniques. La bataille d'Alep continue de faire rage, chacune des parties tentant d'imposer sa suprématie sur le terrain au moment où la diplomatie piétine.

Les oubliées de Nezlet Choubek
Zig Zig, théâtre documentaire, dans un décor minimaliste.

Il y a cent ans, Nezlet Choubek, un petit village de Guiza, a vu son train de vie de paysans basculer. Il est entré malgré lui dans l’histoire. Une histoire que six femmes ont déterrée et sortie de l’oubli. La réalisatrice Laïla Soleiman et les cinq actrices : Nadia Amin, Mona Hala, Reem Hégab, Zainab Magdi et Nancy Mounir. Et cela a donné Zig Zig, une pièce de théâtre sur le viol de femmes par des soldats britanniques en 1919. L’Egypte était alors sous protectorat anglais, et la lutte des Egyptiens pour l’indépendance battait son plein. 1919 c’est l’année de la Révolution sous la houlette du parti Al-Wafd. Un après-midi, dans ce climat de contestation, les troupes anglaises ont envahi le paisible village Nezlet Choubek. « Les soldats de l’armée britannique sont entrés dans ma maison vers 4h de l’après-midi. Ma belle-mère leur a demandé : Voulez-vous que je vous serve un peu d’oie ? Mais ils ont répondu : Zig Zig ». Le ton était donné : les soldats recherchaient du sexe. Ainsi, plusieurs femmes ont été violées et cinq dignitaires du village tués. Suite à cela, les habitants ont porté plainte et un procès militaire s’en est suivi.

La pièce Zig Zig revient sur cet événement oublié, en usant du procédé du théâtre documentaire. Un théâtre basé sur des faits réels et des documents dont le but premier est de diriger le regard et la conscience vers une réalité oubliée ou galvaudée. A l’instar des fondements de ce concept, le décor de la pièce Zig Zig est minimaliste, le jeu des acteurs est solennel, voire dénué de toutes fioritures. Le fil conducteur étant de maintenir l’attention du spectateur sur le fait lui-même et non sur ce qui l’entoure. La pièce se base sur des documents, relatifs à ce procès, trouvés dans les archives britanniques. Les archives égyptiennes n’ont conservé aucune trace de cet événement quoique les leaders du mouvement nationaliste égyptien « aient exploité les histoires de ces femmes dans leurs slogans contre les Britanniques », raconte l’un des personnages de la pièce. Et c’est pour cela que, fidèle aux documents, la pièce est en partie en anglais, avec une traduction sur écran en arabe. Une fidélité à la mémoire de ces femmes violées et oubliées.

Un fait si vieux et si d’actualité. On n’aime pas trop s’étaler sur ce genre de chose en société. Comme lors du procès de la cour militaire britannique, où ces femmes n’ont pas eu gain de cause, les voix en souffrance d’autres femmes après se sont tues. On passe vite l’éponge. Ce qui s’est passé à Nezlet Choubek a vite été éludé par le mouvement nationaliste, et ces femmes sont tombées dans l’oubli. Que sait-on de leur souffrance ? Rien.

Peine et frustration
La pièce Zig Zig leur a redonné la parole, un siècle après, pour redire ce qu’elles ont vécu, pour faire revivre leur peine et leur frustration. Elles ont témoigné, encore une fois, devant la cour. Quatre petits pupitres éclairés de lampes à bureau sur lesquels trônent les dossiers de l’affaire. Elles témoignent, se tortillent, répondent aux questions des juges qui les poussent dans leurs retranchements, insinuent leur implication et les transforment en accusées.

« Qu’est-ce qui a changé depuis ? », martèlent les personnages de Zig Zig. Quel était le quotidien de ces femmes après ces viols ? Que ressentaient-elles ? Personne ne le sait. Personne n’a pensé à le leur demander. Et le mouvement nationaliste à l’époque les a vite reléguées aux oubliettes.

La cour martiale ne leur a pas donné raison, et l’histoire ne les a pas réhabilitées. La pièce Zig Zig leur a redonné voix.

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