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Un peintre hors du temps

Soheir Fahmi, Lundi, 01 août 2016

Samir Rafea est un peintre qui a su mêler les différentes écoles pour créer un monde qui lui est propre. La galerie Picasso lui consacre une exposition exceptionnelle pour fêter les 90 ans de sa naissance. Un plaisir pour les yeux et le coeur

Un peintre hors du temps
Etreinte du loup.

Samir rafea (1926-2004) est un peintre égyptien qui a vécu 55 ans à Paris, et ne reve­nait dans son pays natal qu’à de rares occasions. D’une grande originalité et surtout d’un par­cours exceptionnel, ce peintre déchiré entre deux pays, mais surtout par ses démons intéri­eurs, a donné à sa peinture et à ses dessins tout le contenu de son âme.

Dans la collection privée d’Ibrahim Picasso, propriétaire de la galerie éponyme, les planches de Rafea s’étendent sur les murs pour le plus grand plaisir des yeux. Ces planches, qui ont été peintes ou dessinées il y a de nombreuses années, gardent toujours leur saveur et affrontent la modernité avec force. « J’ai voulu faire cette exposition pour fêter les 90 ans de la naissance de ce peintre », déclare Ibrahim Picasso qui était un ami de Samir Rafea. Bien que nous soyons en fin de saison, les gens affluent pour contempler les oeuvres de cet artiste hors norme.

Samir Rafea, qui se cherche entre symbolisme, surréalisme, quête métaphysique, amour et surtout humour, a su créer un style qui ne s’apparente à aucune école. Parti en 1955 à Paris pour étudier l’histoire de l’art à la Sorbonne grâce à une bourse, il fait partie de la géné­ration qui s’est rebellée contre les codes préétablis. Ami de Pablo Picasso, il s’installe fina­lement à Paris et achève sa thèse. Pendant cette période, il tombe amoureux de la création artistique qu’offre Paris à cette époque. Il part quelques années en Algérie après la révolution algérienne. Ami du président Benbella qu’il avait connu avant la révolution, il est son invité et vit quelques années en Algérie où il travaille. Mais cette période soldée par le départ du pouvoir de Benbella apporte de nombreux problèmes à Samir Rafea. Il rentre à Paris et poursuit son travail pictural, où le monde humain et celui animal se confondent, comme faisant partie d’une même ori­gine.

Des femmes et des loups
La plupart des hommes ou des femmes, mais surtout des femmes enlacent des animaux. Souvent, ce sont des loups. Ils s’unissent en toute quiétude dans un mouvement de réconci­liation. On notera qu’il n’existe aucune violence dans les oeuvres de Rafea. Dans une planche par exemple, une colombe est sereinement posée à côté d’une lampe à gaz. Dans d’autres, des femmes sont peintes sur la première page de journaux, comme un clin d’oeil à une presse éloignée de la réa­lité. Ces femmes en fil de fer s’amusent et nous amusent aussi.

Des femmes nues également nous regardent de face sans éro­tisme. Elles cachent leur sexe ou un animal le fait. Elles nous regardent et se rient de la ségré­gation des sexes. Un homme et une femme s’enlacent avec amour et humour. Ils ont l’air de nous chuchoter à l’oreille : « Ne nous prenez pas au sérieux ! ».

Dans sa quête métaphysique pour comprendre le monde, Samir Rafea se sert de l’humour et des couleurs pour contourner la gravité du monde. Picasso avait déclaré : « J’ai passé 90 ans de ma vie pour apprendre à dessiner comme un enfant ». Samir Rafea provient de cette même lignée. Dans ses traits maladroits et enfantins, il nous rappelle la relativité des choses. Et comment considérer les choses à leur propre valeur, sans trop les prendre au sérieux. Les couleurs sont fortes et sans équivoque. Elles sont sans nuances et éclairent les planches. Entre le rouge, le vert, le jaune et le bleu, nous sommes entourés de couleurs d’une clarté absolue. Jumelées avec les formes primitives, elles nous offrent un monde enfantin qui se joue de la gra­vité du monde qui nous entoure.

Les formes d’une simplicité extraordinaire et ces hommes et ces femmes colorés qui se pren­nent au jeu de leurs person­nages nous proposent un monde où l’anxiété est intérieure, mais où il vaut mieux faire fi de nos inquiétudes.

De toute manière, en contem­plant les oeuvres exposées, le plaisir de voir l’emporte sur tout le reste. Il ne nous reste qu’à contempler l’efferves­cence des couleurs, et ce monde exceptionnel absent des gale­ries égyptiennes depuis long­temps.

Le 3 août à la galerie Picasso, de 10h à 22h. Rue Hassan Assem, Zamalek.

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