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Cinéma : Printemps de la politique, hiver du cinéma

Yasser Moheb, Mardi, 12 février 2013

L’industrie du cinéma en Egypte traverse les pires conditions de son histoire. Troubles sécuritaires, baisse de fréquentation des salles et sorties repoussées s’ajoutent au phénomène croissant du piratage. Et selon les professionnels, la crise devrait durer.

printemps 1

Le Cinéma chavire face au chaos et aux manifestations politiques récurrentes et face à un piratage de plus en plus féroce. Instabilité, carence sécuritaire, laisser-faire, coût galopant des billets et manque de capitaux ... le septième art connaît en ce moment ses pires années de vaches maigres !

Frappée elle aussi par la crise économique actuelle, l’industrie du cinéma endure une baisse sans précédent de ses recettes. Le nombre de films produits est en régression, entraînant une baisse évidente des opportunités d’emploi. Plusieurs boîtes de production viennent de prendre la décision de repousser la sortie de leurs films jusqu’à nouvel ordre.

printemps 2

D’autres préfèrent s’aventurer dans le domaine de la télévision afin d’échapper à des pertes latentes. « Nous vivons la pire des saisons cinématographiques de l’histoire du cinéma égyptien », affirme le producteur et distributeur, Mohamad Hassan Ramzi. « L’ébullition politique et économique de la société égyptienne, ainsi que l’absence quasi totale de sécurité au quotidien ont conduit la famille égyptienne à ne plus aller au cinéma, menant ainsi à des recettes qui n’ont même pas atteint les 500 000 L.E. durant les vacances de mi-année scolaires, alors que les chiffres prévus devaient dépasser les 3 millions ! », ajoute-t-il. D’après lui, les salles de capacités moyennes perdent chaque mois 250 000 L.E, ce qui pourrait bientôt conduire à les fermer définitivement.

Seuls une dizaine de films ont été projetés durant toute l’année 2012 et deux seulement lors des vacances de mi-année. La sortie d’un troisième a par ailleurs été de nouveau ajournée. Des chiffres qui révèlent à quel point le nombre de films produits est restreint. Cet état des lieux revient à une hibernation — volontaire ou pas — de plusieurs producteurs, qui attendent que se dissipent les nuages d’instabilité politique avant de redevenir pleinement opérationnels et de mettre en oeuvre leurs projets encore en chantier. « Cette crise qui frappe actuellement le cinéma est aussi à mettre sur le compte des chaînes satellites qui sont devenues plus réticentes à acheter les films, se contentant des anciens films et des drames télévisés, surtout les feuilletons turcs, devenus aujourd’hui le moyen de divertissement gratuit et préféré de pas mal de familles égyptiennes.

La majorité des jeunes — qui représentent la force motrice du marché cinématographique — sont dans les rues afin de participer aux manifestations contre le régime » et non dans les cinémas, souligne Ramzi. D’après lui, plusieurs producteurs envisagent de changer d’activité pour renouer avec leurs anciens bénéfices. « Après les comédiens, les réalisateurs, les agences de publicité et le public, voilà les producteurs qui penchent de plus en plus vers la production des séries télévisées, sans grand intérêt malheureusement au sein d’un espace médiatique encore plus chaotique que celui du cinéma ! », conclut le distributeur.

printemps 3

La crise frappe à la porte

Un tour dans les quartiers du centre-ville cairote suffit pour se rendre compte de la récession dont souffrent actuellement la plupart des salles de cinéma. A part les quelques salles situées dans les complexes et grands malls, les queues devant les guichets de cinéma ont disparu. Et ce manque de revenus conduit à d’autres problèmes.« Il est clair pour tous que la crise politique et sociale qu’on vit en ce moment est accompagnée d’une autre plus importante et beaucoup plus dangereuse, celle économique et industrielle », insiste Mahmoud Anouar, employé de la salle Miami, au centre-ville. « Un film peut être retiré de la salle une semaine seulement après sa sortie s’il ne réalise pas son hold-over.

D’autres passent des mois en salle sans réussir à obtenir la moitié de leurs budgets de production. Résultat : certains producteurs ont freiné leurs activités », regrette-t-il, en ajoutant : « Face à ces problèmes de production et de box-office, plusieurs propriétaires ou directeurs de salles se sont trouvés dans l’obligation de diminuer le nombre de leur personnel. De plus, ils ont dû remettre les projets de maintenance des salles faute d’argent ». Pour d’autres salles, ces conditions précaires nécessitent d’augmenter le nombre de vigiles et d’agents de sécurité. Un coût en plus alors que les recettes diminuent.

« Suite à deux vols et quelques chicaneries entre de jeunes clients devant nos salles, nous avons décidé de doubler notre équipe de sécurité dans le but d’éviter d’autres dégâts », se plaint Ahmad Radwan, directeur des salles de cinéma Osman Group dans le quartier Al-Zeitoun.

printemps 4

Le piratage secoue l’industrie

Le manque de sources de financement, la baisse des recettes publicitaires et la chute des ventes en DVD ont précipité le malaise de toute l’industrie. Mais reste un élément parmi les plus importants et les plus dangereux quant à l’avenir du cinéma : le piratage. Dès qu’un nouveau film sort sur les écrans, on trouve une copie DVD piratée sur le trottoir juste en face de la salle qui le projette. « C’est la principale cause de la crise actuelle du cinéma », souligne Mossaad Fouda, président du syndicat des Cinéastes. Et de poursuivre : « Les quelques centaines de cinéastes, tout comme les salles de cinéma, sont gravement menacés par l’absence d’une intervention urgente et d’une réelle volonté politique de mettre fin au pillage de toute une industrie ».

Alors que les films actuellement en salle, comme Al-Hafla (la soirée) et Ala gosseti (me passer sur le corps), souffrent d’un vrai problème de piratage, ils ont quand même tenu le coup. Toutefois, au sein des diverses parties concernées, la protection du droit de propriété intellectuelle des films fait l’objet d’une plus grande attention ces dernières années. Les producteurs Gabi Khouri, Mohamad Al-Adl, Waël Abdallah et Mohamad Hassan Ramzi viennent d’adopter une initiative visant à pourchasser légalement les contrevenants.

Des milliers de sites Internet, en plus d’une centaine de vendeurs illégitimes et d’une dizaine de nouvelles chaînes satellites sont visés par ce groupe de professionnels pour violation des droits d’auteur. De quoi dessiner les traits d’une guerre professionnelle précoce et d’un conflit à connotation culturelle aussi bien qu’économique .

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